L’annulation de la CAN au Maroc fait des émules. Le bras de fer engagé entre le Royaume et la Confédération Africaine de Football n’est qu’à son stade embryonnaire. L’affaire va être portée devant la justice. Le Maroc contre-attaque.

« Suite au refus de la partie marocaine, le Comité Exécutif décide que l’équipe nationale du Maroc est automatiquement disqualifiée et ne pourra prendre part à la 30eme édition de la Coupe d’Afrique des Nations 2015 ». C’est le verdict tombé le 11 novembre dernier. Les lions de l’Atlas ne fouleront pas les pelouses bien fraîches et bien taillées des stades marocains à l’occasion de la 15e édition de la Coupe d’Afrique des Nations. La Confédération Africaine de Football s’est montrée inflexible. Elle a répondu niet au Maroc qui demandait le report de la CAN pour cause d’épidémie Ebola. Un de ses arguments chocs ? Un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé favorable à l’organisation de la CAN dans le pays. Résultat, le Royaume n’organisera, ni ne jouera, la CAN 2015. Les Marocains tentent d’évacuer leur déception. Le score du Maroc lors du match amical contre le Bénin 6-1, quelques jours après avoir été écarté de la compétition, ne fait qu’alimenter l’amertume générale. Depuis, la Guinée Equatoriale a hérité du flambeau et organisera l’édition 2015.

Ebola : un cas de force majeur

Pour justifier sa position, le Maroc a fait primer « la question sanitaire à l’enjeu sportif ». Mohamed Ouzzine, ministre de la Jeunesse et des Sports, qui s’exprimait devant la Chambre des conseillers, a été on ne peut plus clair : « l'intérêt du Maroc et des Marocains prime sur toute autre considération », a-t-il martelé, rappelant que l’épidémie Ebola était un « cas de force majeure ». Même son de cloche au sein de la Fédération Royale Marocaine de Football. « La volonté de reporter la compétition était juste, car elle concerne la santé des Marocains », commente un de ses membres, Ismaïl Zitouni.

Le Maroc avait mis les bouchées doubles pour faire de cette compétition un événement sportif de qualité, orchestré au millimètre près. « Nous travaillions d’arrache-pied, 24h/24, et par le biais de comités d’organisation locaux structurés et performants », explique I. Zitouni. Certains y voyaient même une preuve supplémentaire à donner à la FIFA de la capacité du Royaume à accueillir la Coupe du Monde 2026.

En face, le comité exécutif de la CAF pointe des incohérences dans les positions marocaines, alors que la Royal Air Maroc maintient ses vols vers l’Afrique, parmi lesquels la Guinée, un des pays touchés par l’épidémie, dont l’équipe nationale vient jouer ses matchs amicaux au Maroc depuis plusieurs mois. Issa Hayatou, le président de la CAF, enfonce le clou encore davantage lorsqu’il reproche au Royaume d’avoir maintenu sur son sol le Championnat du monde des clubs du 10 au 20 décembre prochain. Pourtant, pas besoin d’aller chercher bien loin, la défense de l’accusé se trouve dans le programme même de la compétition…hormis le Maroc et l’Algérie, aucun pays africain ne prend part à cette édition.

Bras de fer engagé

Au ministère de la Jeunesse et des Sports, le verdict de la CAN reste incompréhensible et a été pris de façon unilatérale. « On s’attendait à une discussion, un débat de fond, une solution où tout le monde était gagnant-gagnant », déplore un conseiller de Mohamed Ouzzine. Pour lui, la décision d’écarter le Maroc du jeu va porter un fort préjudice à l’image du Royaume, connu pour son sérieux et sa capacité à organiser des événements à portée mondiale.

Les affaires sportives prennent une allure de brouille diplomatique. Issa Hayatou craint le discrédit qui pèse sur l’institution s’il avait cédé aux demandes de report du Maroc. Manque de crédibilité, perte des sponsors, incompréhension des populations…sont autant de raisons qu’il évoque pour justifier son intransigeance à l’égard du Royaume. Ces mots sont forts, « l’Afrique sera ridiculisée », martèle-t-il dans les colonnes de l’hebdomadaire français, L’Equipe. Le président du football africain engage un sacré bras de fer avec le pays, qui risque de voir ses Lions de l’Atlas privés, non pas d’une, mais de deux éditions de la Coupe Africaine des Nations. I. Hayatou à la dent dure et le Maroc en paye les frais. La relation entre la CAF et le Royaume prend des allures de marche funèbre.

L’affaire portée devant la justice

  1. Hayatou estime que les enjeux financiers sont énormes. « Il y aura un préjudice financier et moral à calculer », avance-t-il. La tension monte d’un cran. Le Maroc risque d’avoir un lourd tribut à payer à la fédération africaine. Selon les textes officiels de la CAF, un retrait du pays organisateur, moins de six mois avant le début de la compétition, est soumis à une amende de 50 000 dollars, en plus de « la réparation de tous les préjudices moraux et financiers causés ».

Le Maroc s’oppose à de telles représailles. La Fédération marocaine, qui se veut rassurante, a saisi le Tribunal arbitral du Sport, basé en Suisse. « Nous espérons qu’il n’y aura pas d’autres sanctions que celle de la disqualification pour l’édition 2015 », estime le conseiller du ministre de la Jeunesse et des Sports. Autrement dit, aucune condamnation financière ou sportive pour le Maroc, déjà assez lésé par ce que certains qualifient d’Ebolagate. « La décision que le Royaume a pris est innocente et juste », martèle-t-on du côté de la Fédération, déçue de ne pas voire « sa grande équipe nationale » participer à la compétition. « Le dossier que le Maroc présentera aux instances juridiques est solide et comporte beaucoup d’éléments », affirme le conseiller du ministre, persuadé que le Maroc l’emportera devant la justice. Pour lui ce forfait in extremis porte un vrai coup à l’économie et aux finances du pays. Investissements massifs, mise à niveaux du stade de Rabat, réservations dans les hôtels, sont autant d’arguments à faire valoir par le Royaume.

Triste sort, alors que cet épisode intervient au moment où les efforts déployés par le Maroc en Afrique sont énormes, tant sur le plan économique que diplomatique, et surtout dans la solidarité que le pays a affichée dans la lutte contre Ebola.