Analyse de L’ambassadeur J. Peter Pham qui est membre distingué du think tank Atlantic Council’s Africa Center. Il a été le tout premier envoyé spécial des États-Unis pour la région du Sahel jusqu’en janvier 2021. Auparavant, il a été envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs en Afrique.

Rompant avec son prédécesseur, le président Joseph Biden a signé, dès le premier jour de sa prise de fonction, l'instrument qui ramène les États-Unis d'Amérique dans l'accord de Paris sur le changement climatique. L’administration a par la suite dévoilé un programme ambitieux de production des énergies propres qui constitue une révolution devant permettre aux États-Unis d’avoir de l'électricité sans pollution de carbone d'ici 2035 et à une économie totalement décarbonée d'ici 2050.

L'Union européenne vise également à avoir une économie climatiquement neutre à la même date. L'année dernière, la Commission européenne a proposé la toute première loi européenne sur le climat pour encadrer juridiquement l'objectif de zéro émission de CO2. Cependant, se rapprocher de ces objectifs nécessitera non seulement ce que Biden a décrit comme «du talent, du courage et de l'innovation», mais aussi des quantités importantes de matières premières. Et ici, le continent africain, en particulier la région centrale autour des Grands Lacs, a un rôle important à jouer, d'une manière, bien que souvent occultée dans les discussions, n'est pas moins stratégique.

Pour devenir plus écologique, il faudra beaucoup plus de tout, des panneaux solaires aux éoliennes en passant par les véhicules électriques, les batteries et les appareils portatifs. Tout cela stimulera la demande en divers minéraux et métaux, certains bien connus et d’autres moins familiers, dont dépendent les technologies d'énergie propre.

Les pays africains sont déjà une source majeure pour certains de ces éléments dont le cobalt qui est un composant clé des batteries rechargeables.

Environ la moitié des 7,1 millions de tonnes métriques des réserves mondiales totales de cobalt se trouvent en République démocratique du Congo qui, en outre, représente 70% de la production totale de ce métal, selon les statistiques les plus récentes.

Par ailleurs, certains pays africains sont la clé de voûte pour la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement. Prenons le cas du néodyme, une terre rare argentée qui joue un rôle primordial dans les énergies renouvelables car il n'y a actuellement aucun substitut permettant la fabrication d'aimants dits permanents utilisés dans les générateurs de conversion de l'énergie mécanique en électricité, et dans les véhicules électriques (où t l'électricité est convertie en énergie mécanique). S'y ajoutent les utilisations usuelles dans une multitude d'applications allant des cartes de crédit aux haut-parleurs en passant par les équipements médicaux.

Quelque 80% du néodyme mondial est actuellement produit par la Chine. Cette position dominante n’est pas sans risque de blocage de l'accès à ce métal, comme ce fut le cas en 2010 lors d'une altercation entre un chalutier de pêche chinois et un navire des garde-côtes japonais. Les patrouilles effectuées près des îles Senkaku ont bloqué le passage d'éléments de terres rares, y compris le néodyme, vers l'industrie japonaise. Et même en dehors des aléas potentiels liés à la chaîne d’approvisionnement chinoise, la demande mondiale devrait même dépasser la capacité de production de la Chine.

Certaines sources alternatives possibles sont déjà connues : la mine de Gakara au Burundi, exploitée par Rainbow Rare Earths, une société cotée à la Bourse de Londres, et la mine de Songwe Hill au Malawi, exploitée par la société canadienne Mkango Resources.

Mais les minéraux apparemment ésotériques, qu'ils soient techniquement classés comme éléments de terres rares ou non, ne sont pas les seuls intrants nécessaires à la transition mondiale vers une énergie propre. Une économie plus verte exigera également des volumes encore plus importants de certains métaux que l'humanité exploite depuis des millénaires.

Le passage, par exemple, à des véhicules électriques plus propres nécessitera du cuivre - en grande quantité. Une automobile classique fonctionnant avec un moteur à combustion interne contient environ 22 kg de cuivre en moyenne, un véhicule électrique hybride environ 40 kg et un véhicule électrique à batterie environ 85 kg. Les transports publics nécessitent encore plus de cuivre, les autobus électriques hybrides et électriques à batterie nécessitant jusqu'à 450 kg de métal ductile. Les infrastructures d'énergie renouvelable nécessitent également de grandes quantités de cuivre. Environ 4,7 tonnes de cuivre entrent dans la fabrication de chaque éolienne typique.

Ainsi, il n'est pas surprenant que les prix du cuivre ont doublé au cours de la dernière année, alors que l'enthousiasme pour les véhicules électriques et la production d'énergie renouvelable prenait de l'ampleur. Début mai, ces prix ont commencé à dépasser les 10.000 dollars, battant ainsi le record de tous les temps et établissant plusieurs nouveaux records. Le plus grand négociant du métal, la multinationale singapourienne Trafigura Group, s'attend à ce que le prix grimpe encore plus pour atteindre 15.000 dollars la tonne cette décennie «alors que la demande de décarbonisation mondiale produit un déficit sur le marché». Fin mars, la banque d'investissement Morgan Stanley a prédit que les véhicules électriques et les énergies renouvelables consommeront, en moyenne, deux fois plus de cuivre par an au cours des dix prochaines années qu'au cours de la dernière décennie, avec une demande atteignant 5,2 millions de tonnes métriques d'ici 2030.

Si l’augmentation de la demande explique en partie l’augmentation du prix des produits de base, il y a aussi le facteur de l’offre, car de nombreuses mines existantes sont dans les phases de déclin de leur cycle de vie.

En fait, une étude géologique d'il y a quelques années suggérait que sans l'exploitation de nouvelles réserves, la production mondiale de cuivre pourrait approcher de son pic juste au moment où la demande devrait grimper. Or, les projets en cours de développement sont peut-être encore plus importants que la production existante. De plus, avec certains grands producteurs potentiels, y compris la controversée Pebble Mine d'Alaska, confrontés à un avenir incertain en raison de préoccupations environnementales et de problèmes de réglementation, la recherche de nouvelles sources est essentielle. Parmi les dix projets actuellement en cours de développement, le plus important est de loin le projet Kamoa-Kakula de la société minière canadienne Ivanhoe dans la province méridionale de Lualaba (ex-Katanga), regorgeant d’environ 38 millions de tonnes de cuivre.

Est également prévue une augmentation de la demande sur le fer. Un métal qu’utilisent les humains travaille depuis l'âge du bronze moyen. Une éolienne contenant 4,7 tonnes de cuivre, nécessite 335 tonnes d'acier qui, bien sûr, est un alliage ferreux. Alors que trois des plus grandes mines de fer du monde sont situées au Brésil et, sans surprise, exploitées par le navire amiral du pays Vale, la mine de Zanaga en République du Congo n’est pas loin derrière en termes d’envergure. Par ailleurs, les gisements de minerai de fer inexploités les plus importants - et, selon de nombreuses estimations, de meilleure qualité - se trouvent en Guinée, dans les collines de l’est du pays à Simandou et dans leur voisinage. La mise sur le marché de cette ressource transformera non seulement la chaîne d'approvisionnement mondiale en l'ingrédient essentiel de l'acier, mais elle porte la promesse de relancer considérablement le développement de la Guinée et de son voisin le Libéria, classsés respectivement 178e et 175e selon l’indice de développement humain du PNUD parmi 189 pays et territoires (exporter le minerai via le port libérien voisin de Buchanan a beaucoup plus de sens économique que de le transporter par voie terrestre à environ 400 miles de la capitale guinéenne de Conakry sur un chemin de fer non encore construit).

Maintenant que des deux côtés de l'Atlantique, les gouvernements et l'industrie (annonce a été faite fin 2020 par le constructeur automobile allemand Audi que toutes ses usines de production de véhicules seront neutres en carbone d'ici 2025, suivie plus tôt cette année par les projets de GM de rendre neutre en carbone ses produits et opérations d'ici 2040) ainsi que les particuliers qui s’approprient les divers aspects de l'économie verte, dans les grandes infrastructures, comme dans les processus de fabrication en passant par les produits de consommation, le continent africain jouera un rôle de plus en plus stratégique en fournissant des intrants essentiels à la chaîne d'approvisionnement. Cette réalité nécessitera à la fois une plus grande attention envers l'Afrique de la part des gouvernements et des entreprises du monde entier ainsi qu'une meilleure coordination entre les secteurs public et privé des économies développées. C’est aussi une opportunité sans précédent aux pays africains de tirer profit de cette nouvelle opportunité stratégique au profit de leurs citoyens et de leurs économies.