Le changement climatique est un réel défi pour les pays africains. Les institutions supérieures (ISC) de contrôle de ces pays auront un rôle primordial à jouer, en élaborant des méthodes et des techniques d’audit environnemental pour améliorer l’efficacité de la gestion durable des ressources. Dans cet entretien, Dr. Driss Boucetta explique comment le Maroc a un grand potentiel de leadership en Afrique.

Les questions climatiques sont devenues la priorité aujourd’hui de toutes les politiques publiques. En Afrique le changement climatique pose de grands défis aux gouvernements, comment le continent peut-il faire face ? Que peut faire l’Union africaine ? Comment le Maroc peut-il contribuer ?

Parmi les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’environnement du continent africain, certaines doivent être considérées en priorité. C’est notamment le cas de la lutte contre le dérèglement climatique, de protection de l’environnement, de la gestion de la ressource hydrique, de la pollution des eaux, l’énergie, les atteintes à la diversité de la faune et de la flore......etc. D’autres menaces de l’environnement pour l’avenir proche et ce, dans quatre domaines principaux : l’énergie, l’espace urbain, l’espace rural et l’eau. À terme, l’environnement peut y devenir un obstacle au développement économique, un véritable goulot d’étranglement.

La persistance d'une mauvaise gestion des ressources naturelles portera atteinte à la qualité de vie, la stabilité sociale à long terme et le développement économique. Parmi les solutions à adopter pour freiner ces dangers, sont d’abord des actions techniques. Elles se ramènent à l’élaboration de moyens permettant la cohérence des politiques publiques aux regards des objectifs environnementaux et de développement durable.

Dans ce contexte, le Royaume du Maroc a déjà débuté un processus de mise en place d'une stratégie nationale d'adaptation au changement climatique avec des objectifs décisifs sur les volets socio-économique et environnemental. Il est pris comme référence sur le continent africain à travers son modèle résilient de développement. Il figure parmi les pays pionniers en matière de lutte contre les changements climatiques et de création des conditions du développement durable. Il a inscrit les questions environnementales et les défis climatiques parmi les priorités de ses politiques nationales.

Dans cet esprit, Sa Majesté Le Roi Mohammed VI que Dieu l’assiste a fait observer que « le continent africain est frappé de plein fouet par les impacts négatifs du changement climatique, alors même qu’il n’est pas responsable de cette situation inéquitable ». Le Souverain a précisé que « l’ampleur des défis nous impose un sursaut collectif, à même de renforcer les bases de solidarité entre les pays et de concrétiser la transition vers un modèle économique adapté » (COP24 à Katowice en Pologne, 3 décembre 2018).

Pourquoi l’audit environnemental indépendant est-il nécessaire ?

Dans ce cadre les institutions supérieures (ISC) de contrôle des pays Africains auront un rôle primordial à jouer, elles sont confrontées aux défis liés à l’élaboration de méthodes et de techniques d’audit environnemental pour améliorer l’efficacité de la gestion durable des ressources. L’ambition est d’apporter une contribution pour mettre en place une nouvelle démarche méthodologique afin de combler à un besoin évident de contrôle environnemental trop négligé jusqu’à nos jours par le biais de méthodes d’audit traditionnels.

Cette nouvelle vision permettrait de contribuer à renforcer l’intégration des questions environnementales - le quatrième « E » - dans les missions traditionnelles d’audit de performance des Cours des comptes africaines axées sur « les trois E » (économie, efficience et efficacité). Dès lors, cette nouvelle dimension (4eme E) incite à proposer la création de la fonction de commissaire à l’environnement et au développement durable Africain (CEDA).

L’objectif de la nouvelle structure serait de fournir aux décideurs africains des analyses portant sur les forces et les faiblesses quant aux efforts des gouvernements de leurs pays pour protéger l’environnement et favoriser le développement durable ainsi que, des recommandations, objectives et indépendantes, pour les renforcer. Bien entendu, les rapports ainsi produits, seront destinés aux institutions africaines compétentes pour en tirer toutes les conséquences.

Le commissaire à l’environnement et au développement durable Africain (CEDDA) permettra d’examiner l'efficacité et l'efficience des politiques des pays africains en matière d’environnement, parce que l’eau, la pollution ; le changement climatique et l’énergie sont des problèmes transfrontaliers et permettre à ces pays de travailler ensemble pour trouver des solutions communes aux différents problèmes environnementaux transfrontaliers.

En ce sens et dans cette même veine, l’objectif est la consolidation du continent africain plus vert, plus juste, plus prospère, voire plus durable pour les générations futures.

La vision s’articule autour, d’une part, de l’instauration d’une ligne directrice de l’audit environnemental dans les travaux des Cours des comptes Africaines et d’’autre part de la réalisation de missions d’audit environnemental conjoint entre ces institutions africaines pour renforcer l'impact des rapports qui en résultent en présentant des recommandations et des suggestions communes.

Les profondeurs de cette vision constitueraient un apport intéressant à l’Afrique en introduisant l’audit environnemental dans les nouvelles missions des cours des comptes Africaines et en formant les auditeurs en environnement et du développement durable dans le cadre de la coopération sud-sud prônée par le Maroc dans un centre de formation en audit environnemental Africain au Maroc.

L’instauration au sein des ISC d’une nouvelle culture d’audit demande des compétences particulières. Ceci ne peut se faire sans réfléchir à la création d’un centre de compétence en matière d’audit environnemental et de développement durable. Ce centre pourra, entre autres, renforcer et former des auditeurs dans ce domaine dans les pays de l’Union Africaine.

La création d’une nouvelle structure de commissaire à l’environnement et au développement durable pourrait constituer un outil d’évaluation des coûts liés à la dégradation des principales composantes de l’environnement : le changement climatique, l’eau, l’air, les sols, les forêts, le littoral et les déchets. Dans ce cadre, cette évaluation pourrait estimer les pertes induites par la dégradation de l’environnement à trois niveaux : sur le plan social, économique et environnemental.

Elle représente une référence de départ dans l’intégration des questions environnementales dans les politiques ainsi que les entités publiques. Ce nouveau mode de contrôle environnemental contribue à l’élargissement de la base des connaissances sur les aspects économiques de la dégradation de l’environnement et la prise de connaissance sur la nécessité de mobiliser des ressources pour défendre et valoriser l’environnement.

Cette vision pourrait être une référence pour les institutions supérieures de contrôle des pays Africains dans la mobilisation de l’action collective pour relever les défis urgents du changement climatique, qui a été nettement saluée par les intervenants à la réunion ministérielle sur « les défis croisés des changements climatiques et de l’Agenda Femmes, Paix, et Sécurité en Afrique » organisée jeudi 16/02/2023 à Addis-Abeba par le Maroc en collaboration avec l’Union africaine en marge de la 42ème session du Conseil Exécutif de l’Union Africaine.

Dans cette perspective, les ISC africaines seront invitées à insérer dans leurs démarches d’audit les questions environnementales, fédératrices d’idées et de méthodes innovantes par la création d'un nouveau poste de Commissaire à l'Environnement et au Développement Durable Africain et aussi au sein des institutions supérieures des comptes (ISC) des pays de l’Union Africaine.

Est-ce que cette vision est possible ?

A l'occasion de la soutenance d’une thèse de doctorat en sciences juridiques en droit public, contentieux, environnement (EDS) de l’école doctorale de l’université Paris1 Panthéon-Sorbonne, France, Présentée et soutenue publiquement le 14 novembre 2022, sous le titre « Contribution à l'intégration des considérations environnementales dans les travaux de la Cour des comptes européenne : quelle place pour l'audit environnemental ? ». Mon choix a porté sur ce sujet car il s’agit d’un thème de grande actualité qui intéresse aujourd’hui toutes les cours des comptes. Je me suis intéressé à ce sujet à la suite d'un constat personnel durant ma formation et par mes expériences dans différentes missions d’audit et des stages. Elle est née à la suite d’une participation au programme international de formation en audit environnemental au « 87 the International training programme on environment audit » à Noida en Inde, le 6 janvier février en 2009. Mes interrogations ont débuté avec le constat de graves problèmes environnementaux de ce pays en raison des rejets industriels, des eaux domestiques usées, sécheresses récurrentes, pénuries d’eau, pollution de l’air dans les grandes villes, montagne de déchets entassés, rivières polluées. Cette situation critique et aussi dangereuse m’avait beaucoup marqué, elle a suscité en moi un grand intérêt concernant l’audit environnemental ayant pour objectif d’analyser, d’identifier les causes profondes des problèmes environnementaux et de décrire ce à quoi la situation pourrait conduire si elle n’est pas résolue.

En outre, durant cette formation, j’ai été touché par une reconnaissance vertueuse suite à une solution que j’ai proposée afin d’économiser l’eau dans le Centre (I.C.I.S.A) dans lequel j’ai planté un arbre en souvenir. Ce geste m’a poussé à vouloir contribuer davantage dans ce domaine de recherche. J’ai participé à des missions d’audit à la Cour des comptes européenne en tant que spécialiste en audit environnemental suite à une invitation d’accueil par cette institution.

J’étais le premier Arabe et Africain à prendre part à différentes missions officielles d’audit de la Cour des comptes européenne au Luxembourg et au sein des différentes directions de la Commission européenne à Bruxelles. J'ai livré une réflexion sur un sujet de très grande importance notamment en ce qui concerne la cohérence des politiques publiques au regard des objectifs environnementaux et de développement durable des pays membres. La publication de ma thèse a été autorisée. Cette recherche pourrait être une source d’inspiration pour répondre aux grands enjeux climatiques auxquels l’Union Africaine doit faire face.

Ma thèse se veut une contribution pour faire face à une carence de recherche en matière d’audit environnemental. Elle est le résultat d’un long parcours professionnel, intellectuel et géographique. Cette contribution entend combler une lacune, c’est un domaine où il n’y a pas d’écrit. Elle entend combler un vide scientifique, parce qu’il n’existe, aucune recherche en Union Européenne, consacrée à « l’environnementalisation » de l’audit de la Cour des comptes Européenne (CCE).

A ma connaissance, l’objet de cette thèse n’a jamais été traité en Europe, Il n’existe, en effet aucune recherche consacrée à ce thème qui s’articule autour de l’intégration des considérations environnementales - le quatrième « E » - dans les missions traditionnelles de l’audit de performance de la Cour des comptes européenne (CCE) axées sur « les trois E » (économie, efficience et efficacité). Dans cette perspective je souhaite concrétiser cette recherche et participer à la mettre en application avant la Cour des comptes européenne dans mon pays et sur le Continent Africain.

Les profondeurs de cette recherche qui pourraient être une source d’inspiration pour notre pays par la création d’un Commissaire à l’environnement et au développement durable au sein de la cour des comptes du Royaume du Maroc et par la création d’un centre de formation des auditeurs de l’environnement et du développement durable Africain au Maroc.

Elle pourrait également être une référence pour l’UA étant donné que le Maroc est pris comme référence sur le continent. Cette position du Maroc de leader et pionnier dans les questions de l’audit environnemental en Afrique permettrait de connaître les problèmes de ces pays qui se transforment en investissements en vertu du principe selon lequel chaque demande crée sa propre offre. En effet par la formation des auditeurs en environnement, on peut connaître réellement les besoins en matière d’investissement dans ces pays.

En conséquence le Maroc sera le deuxième pays dans le monde après le Canada par la création d’un Commissaire à l’environnement et au développement durable au sein de la cour des comptes du Royaume du Maroc. Il pourrait aussi être pionnier au niveau continental en créant un Commissaire à l’environnement et au développement durable africain (CEDDA). Par ailleurs, le Maroc serait également deuxième au monde après l’Inde par la création d’un centre d’audit environnemental et du développement durable pour former les auditeurs de la cour des comptes nationale et africaines.

 

Driss Boucetta : auditeur international en environnement et du développement durable, A. Magistrat Conseiller Maître de la Cour des comptes du Royaume du Maroc, auditeur de la gestion des projets, des organismes publics et auditeur de l’évaluation des politiques publiques