Par Anne Toulouse

L’arrivée au pouvoir de Barack Obama avait suscité en Afrique de grandes espérances, qui à ce jour n’ont pas été comblées. En six années, chiffres en main, il a fait bien moins pour le continent que son prédécesseur George Bush en avait fait en moitié moins de temps.  Barack Obama a semblé vouloir infléchir cette tendance en effectuant en 2013 son premier vrai voyage officiel en Afrique sub-saharienne et en organisant en 2014 un sommet des dirigeants du continent à Washington. Le débat est ouvert sur les raisons de cette tardive manifestation d’intérêt pour un continent avec lequel il avait des liens si profonds.

Barack Obama est le premier président noir des Etats-Unis, le premier dont l’un des parents est africain et  le premier dont l’un des parents n’est pas citoyen américain (six autres présidents ont eu au moins un parent né en dehors des Etats-Unis, mais ce parent  avait, ou bien a acquis, la nationalité).

Le début de la double présidence Obama a été marqué par une rumeur selon laquelle il ne serait pas né à Hawaï, donc sur le sol américain, mais au Kenya, ce qui l’aurait disqualifié pour occuper sa fonction. Cette théorie a été  propagée par un groupe connu sous le nom de « birthers », dont le zèle n’a été que relativement atténué par la publication du certificat de naissance de Barack Obama.

Si le président est incontestablement américain de naissance, son appartenance culturelle est plus complexe et il analyse cette complexité lui-même dans son premier livre, publié en 2005, « Les rêves de mon père ».  Beaucoup moins connu que son second livre, « L’audace d’espérer», c’est une longue réflexion sur la quête d’identité d’un jeune homme tourmenté par ses origines. Son père, un étudiant Kenyan,  est sorti de sa vie lorsqu’il avait deux ans, il n’est réapparu brièvement que huit ans plus tard et la rencontre ne s’est pas très bien passée. Entre temps le jeune Barak a vécu plusieurs années en Indonésie, où sa mère s’est remariée, avant d’être récupéré par ses grands-parents maternels, originaires du Kansas et poussés à Hawaï par un esprit d’aventure qui semble être la marque de la famille. Hawaï fait juridiquement partie des Etats-Unis, mais est tourné géographiquement et culturellement vers l’Asie. Il en sera de même pour le président Obama, qui a fait de l’Asie la priorité de sa politique étrangère, au détriment de l’Europe et de l’Afrique. Curieusement il a découvert ces deux continents en même temps, lorsqu’à l’âge de 27 ans et avant d’entrer à Harvard, il a effectué un long voyage initiatique. Les européens, qui l’on tant adulé, se voient remis à leur place dans un court paragraphe : « (…en Europe ) écrit Barak Obama, tout était exactement comme je l’avais imaginé, mais ce n’était pas à moi, c’était simplement l’histoire d’amour de quelqu’un d’autre ». Dans les 137 pages du livre consacré à la découverte du Kenya les européens passent brièvement, sous forme de revenants  du colonialisme. Le récit de la rencontre avec le pays de son père, mort quelques mois plus tôt dans un accident de voiture, pourrait s’intituler « pérégrination d’un jeune américain naïf ». Aucun cliché ne manque, de la perte des bagages à l’aéroport jusqu’à un accès de gastro-entérite, lorsqu’il s’aventure en bus de brousse vers le berceau de la famille. Après la rencontre avec une fratrie complexe ( son père a eu 7 autres enfants avec trois femmes , certains contestés par la famille). Lorsqu’il repart vers les Etats-Unis, Barak, que l’on appelle alors Barry, est toujours plongé dans le dilemme qu’il décrit à son arrivée : « un occidental pas tout à fait chez lui à l’ouest, un africain se rendant dans un pays rempli d’étrangers ».

Les relations de la communauté « african-american » avec l’Afrique sont complexes et ambiguës. Le terme lui-même est contesté. Il a été imposé dans les années 1980 par le Révérend Jackson et fait aujourd’hui partie du langage politiquement correct. Mais, dans un sondage réalisé par l’institut Gallup, seulement un tiers des intéressés s’y reconnaissent et 42% préfèrent être appelés « noirs ». Bien que le phénomène n’a jamais été quantifié, de nombreux  américains, et parmi eux de nombreux membres de la communauté noire, pensent que l’Afrique est un pays et non un continent. La confusion vient, et je l’ai entendu souvent, du fait que les Etats africains sont  confondus avec les Etats américains et feraient partie d’une fédération nommée l’Afrique. Mais le problème n’est pas seulement sémantique et les immigrants africains aux Etats-Unis sont en première ligne pour en témoigner : ils s’entendent souvent demander s’ils courent à demi-nus dans la jungle aves des lions et des tigres, comme Tarzan. Dans une série sur la communauté noire américaine, CNN avait consacré un épisode aux immenses différences culturelles entre les immigrants africains et les noirs américains. Selon les sources officielles ou officieuses, le nombre des immigrants africains vivant actuellement aux Etats-Unis varie de 1,5 à 3  millions de personnes, mais le flux s’opère peu en sens inverse. Dans les années 1970, il y eu un mouvement de retour vers les racines africaines, Stokley Carmichael a séjourné en Guinée et Maya Angelou au Ghana, mais ce mouvement a été très élitiste. Il y aujourd’hui une industrie du tourisme vers les hauts lieux de l’esclavage, centré particulièrement sur le Ghana, 63.000 Américains ont fait ce pèlerinage, mais les deux-tiers étaient blancs.

Les chefs d’entreprises noirs américains ne se précipitent pas non plus vers l’Afrique. Lors du sommet de Washington, le magazine « Black Entreprise » écrivait : « il y avait une remarquable omission dans le grand nombre de participants qui a marqué ce sommet, la représentation limitée des chefs d’entreprises noirs américains ».

Ceci nous renvoie à l’appartenance atypique de Barack Obama, dont les racines africaines sont immédiates, mais qui n’a rejoint la communauté « african-american » que lorsqu’il s’est installé à Chicago et a épousé Michelle Robinson, un pur produit de cette communauté. Le quartier noir de Chicago,  le « South Side », est en grande partie peuplé de familles dont les ancêtres ont fui la ségrégation des Etats du Sud pour tomber dans un monde industriel où les relations raciales sont loin d’être idylliques. Cette communauté, au cœur de l’Amérique, a peu tendance à regarder à l’extérieur, que ce soit du quartier, du pays ou même du reste du monde. C’est pourtant de là que Barack Obama est propulsé du rôle de jeune politicien local vers son destin planétaire, par une série d’heureux coups de pouce du hasard. Lorsque le siège de sénateur de l’Illinois devient vacant, il est un candidat symbolique jusqu’à ce que son adversaire pour les primaires démocrates, puis celui de l’élection générale, soient successivement disqualifiés par des scandales amoureux. Il est donc élu, presque par défaut, en 2004. Mais entre-temps il s’est imposé comme une étoile montante de son parti, en une seule soirée, lors de son discours devant la convention démocrate de Boston, ou il s’est présenté avec la mémorable formule : «  a  skinny boy with a funny name », « un garçon maigrichon avec un drôle de nom ». Il se trouve que je l’avais interviewé la veille et je pense que j’étais la première journaliste étrangère à le faire. Là aussi le hasard avait joué son rôle, je me trouvais dans le même hôtel que la délégation de l’Illinois et j’avais suivi dans une réunion locale ce jeune politicien qui allait  le lendemain émerger  sur la scène nationale. Il n’y avait pas 100 personnes pour l’écouter, dans ce qui ressemblait plus à un terrain vague qu’à un parc  et nous avions parlé de sa double  origine, qu’à l’époque il présentait comme la marque de son destin : « quand je vois un couple noir cela pourrait être mes grands-parents, quand je vois un couple blanc cela pourrait être aussi mes grands-parents ».

Il est rare de devenir sénateur sans grande expérience politique et généralement les premières années s’accompagnent d’une sorte de bizutage, pendant lequel le nouveau venu est confiné dans des taches sans éclat. Cela n’a pas été le cas pour Barak Obama,  dont le parti démocrate a immédiatement saisi la dimension emblématique. Il est devenu d’entrée de jeu membre de plusieurs commissions, dont la plus prestigieuse, celle des affaires étrangères. C’est ainsi qu’il est revenu au Kenya en 2006.

Ce voyage a eu une incidence inattendue sur l’attitude de Barak Obama président. Durant une visite à la tribu d’origine de son père,  on lui a remis un costume traditionnel, qu’il a  enfilé sans arrière-pensées, avant de poser pour une photo. Cette image, où l’on voit Barak Obama coiffé d’un turban, a été  exploitée malicieusement par des membres de la campagne d’Hillary Clinton en 2008. Barak Obama a donc dû se débarrasser de l’image du candidat étranger, du candidat musulman caché, d’autant que l’on a appris entre temps que son deuxième prénom est Hussein.

Un problème d’image.

Barack Obama est arrivé au pouvoir avec l’aide d’une extraordinaire équipe de relations publiques, qui a continué à contrôler son image dans ses premières années à la Maison-Blanche. Cette équipe a saisi le malentendu entre l’opinion publique nationale et l’opinion publique internationale.53% d’électeurs ont voté en 2008 pour Barack Obama, ce qui dépasse largement les quelques 13% que représente la communauté afro-américaine. On ne peut pas réduire ce vote à l’appartenance raciale du candidat, Barack Obama était aussi en parfaite adéquation avec une Amérique jeune, lasse des stéréotypes raciaux et soucieuse de se dégager de la période qui  suivi les attentats du 11 septembre. Le reste du monde n’a vu de cette élection que son aspect historique et une sorte de rédemption de l’Amérique. Le prix Nobel de la Paix, récompensant des accomplissements qui ne s’étaient pas encore matérialisés, a renforcé l’impression que le reste du monde s’attribuait le président des Etats-Unis.

Barack Obama devait donc s’attaquer en priorité aux thèmes dominants de sa campagne : sortir de la crise économique et gérer le désengagement des Etats-Unis dans la guerre en Irak et en Afghanistan… tout cela avec une expérience limitée de la politique nationale et une expérience inexistante des postes exécutifs.

Les présidents américains et l’Afrique

Pendant son premier mandat, Barack Obama  a  quasiment ignoré l’Afrique, à l’exception, en juin 2009, du discours du Caire, qui est davantage assimilé à un message  au Proche-Orient. En Afrique sub-saharienne il n’a passé que 22 heures lors d’une escale au Ghana , au retour d’une visite à Moscou.

Il faut dire que les présidents américains voyagent assez peu pendant  la période qui suit leur arrivée à la Maison-Blanche et que l’Afrique n’a souvent pas été  en tête de leur priorité. Le premier voyage officiel d’un président américain en Afrique sub-saharienne a eu lieu en 1978, lorsque Jimmy Carter s’est rendu au Liberia (Franklin Roosevelt s’y était rendu en 1941 mais ce voyage était secret). Bill Clinton a visité 8 pays africains, mais c’est George W Bush qui a battu le record présidentiel avec 10 pays africains visités pendant ses deux mandats. Cela surprendra sans doute certains : George W Bush est le président américain qui a fait le plus pour l’Afrique. Il a lancé la plus grande initiative mondiale de lutte contre le SIDA, PEPFAR, qui a plus tard étendu son action au paludisme et à la tuberculose. Jimmy Carter, souvent critique à l’égard de ses successeurs, et Barack Obama, qui a eu peu souvent des mots aimables pour son prédécesseur, lui ont  rendu hommage pour une  action que l’ex-président et sa femme ont poursuivi après leur départ de la Maison-Blanche. Laura Bush en présence de Michelle Obama a réuni, en juillet 2013, un sommet des « first ladies » africaines pour promouvoir l’aide aux femmes et aux enfants.

Il est difficile de donner des chiffres exacts sur les diverses formes de soutien financier des Etats-Unis à l’Afrique, car il recouvre divers programmes et ces programmes ne sont pas toujours ciblés uniquement sur le continent. Il faut de surcroit tenir compte de ce que le président propose, de ce qui entre effectivement dans le budget , de ce qui reste après la ratification du budget par le congrès et des délais avant que les fonds arrivent réellement là où ils sont destinés. Il y a cependant un consensus sur le fait que l’aide sous diverses formes a considérablement augmenté ( quadruplé selon certaines sources, sextuplé selon d’autres) entre 2001 et 2009, puis baissé ensuite avant de se stabiliser, elle devrait à nouveau augmenter dans le budget 2015.

George Bush a également lancé en 2002  le « Millenium Challenge », un vaste programme d’aide au développement basé sur la bonne gouvernance, qui s’adresse presque exclusivement à l’Afrique. Bill Clinton avait lui promu l’AGOA (Africa Growth and Opportunities Act), axé sur l’amélioration des relations commerciales avec l’Afrique. L’Afrique représente  aujourd’hui moins de 1% des échanges commerciaux des Etats-Unis avec le reste du monde.

L’AGOA arrive à expiration cette année, ce qui sera une occasion de redéfinir avec le Congrès les priorités de l’aide à l’Afrique.

Au niveau présidentiel, ces priorités ont été énoncées lors de la réunion d’une cinquantaine de  chefs d’Etats ou de gouvernements africains, du 4 au 6 août dernier à Washington. Poussé par son ressentiment  à l’égard du colonialisme et les restrictions de budgets américaines, Barack Obama s’est largement appuyé sur un partenariat dans lequel des entreprises privées, comme Coca-Cola, General Electric et Procter & Gamble qui se sont engagées à investir des milliards de dollars en Afrique. Le grand projet qui porte sa signature est « Power Africa », power signifiant également électricité, un élément qui manque cruellement au développement africain. Pour ce projet d’électrification le gouvernement américain s’est engagé à hauteur de 7 milliards de dollars sur  5 ans, 20 milliards doivent venir d’autres sources.

Tout comme ses prédécesseurs et même encore plus, Barack Obama s’est trouvé confronté aux problèmes de sécurité sur le continent africain. Si l’aide militaire des Etats-Unis est énorme dans le nord du continent ( l’Egypte est le deuxième plus important récipiendaire  après Israël) elle est modeste dans la partie sub-saharienne et en quelque sorte déshumanisée. Le président est satisfait d’abandonner les opérations de terrain à des pays comme la France en Afrique de l’ouest. Les Etats-Unis se sont spécialisés dans une guerre  technologique, avec l’utilisation contestée de drones pour effectuer des frappes ponctuelles.

Dans le Discours sur l’Etat de l’Union prononcé le 20 janvier 2015, et qui sera son avant-dernier, Barack Obama a rappelé qu’il est désormais un homme libéré des contraintes électorales. Il ne peut aller au-delà de deux mandats et il finira sans présidence avec l’actuel congrès. Son problème d’image a donc été remplacé par le problème de l’héritage que va laisser sa présidence. L’amélioration de la situation économique des Etats-Unis lui donne également une marge de manœuvre financière. Il sera intéressant de voir comment le président mettra à profit cette double ouverture dans ses relations avec l’Afrique.

Si ces relations n’étaient pas au niveau de ce qu’attend le continent, sera-ce la faute du président, qui n’a pas su y répondre, ou de l’Afrique, qui avait mis la barre trop haut ? Telle qu’est la situation à l’heure actuelle, à l’Afrique pourrait sans doute  s’appliquer, à propos de Barack Obama, ce qu’il disait lui-même avant de découvrir le vrai visage de son père : «  Je décrétais que je préférais son image plus lointaine, une image que je pouvais changer au gré de mes humeurs ou ignorer quand cela m’arrangeait ».