Les électeurs bougeront-ils ? Ils sont 15.702.592 et doivent se rappeler que le parti islamiste Justice et développement (PJD) avait gagné en 2011 avec seulement 1.200.000 voix. Soit un taux très faible qui leur a quand même permis de constituer une coalition et avoir une partie du pouvoir.

S’ils ont gagné c’est à cause de deux phénomènes essentiels : Premièrement, les Marocains n’étaient pas nombreux à voter. Et vu le taux de mobilisation des islamistes, on est en droit de penser que ce sont les modernistes qui n’ont pas bougé. Le PJD mobilise bien ses troupes, à la manière militaire parce qu’il avance des arguments religieux.

Deuxièmement, les autres partis qui n’ont rien à voir avec l’idéologie islamiste sont divisés, non pas pour des idées ou des orientations idéologiques, mais uniquement par des questions de leadership personnel. Rien ne les distingue dans leurs projet économiques par exemple, ils feraient tous la même chose, leurs programmes se ressemblent.

D’ailleurs sur ce point, même les islamistes du PJD n’ont rien d’original, à part leurs discours sur l’éthique et la religion. Sur le terrain ils appliquent les directives d’une économie libérale intégrée dans le marché mondial.

Les islamistes ont trouvé donc une brèche et s’y sont engouffrés. Une fois aux affaires, ils ont oublié leurs promesses et sont tombés dans les mêmes travers que ceux qu’ils accusaient de corruption, de prévarication et de tous les défauts humains. Ils ont eu leurs d’affaires, parfois dépassant l’entendement.

Tel ministre est accusé de laxisme envers des entreprises turques parce le régime turc soutient les islamistes marocains, tel député a des ennuis avec la Justice parce qu’il a été pris en flagrant délit de trafic de drogue, tel autre a été pris la main dans le sac dans une affaire d’accaparement de 200 hectares de terres agricoles… Il y a eu même dans le milieu islamiste des affaires de sexe qui ont fait le buzz.

Bref, les islamistes ont démontré qu’ils n’étaient pas des anges et qu’ils pratiquent la politique comme tous les autres partis.

Ce constat vient d’être corroboré par les dernières accréditations aux législatives. Dans plusieurs villes, les candidats ont été imposés par les pontes du parti, notamment le secrétariat général, dans un mépris total des règles démocratiques. Conséquence, beaucoup de membres influents et d’élus locaux du PJD ont quitté le navire, vers d’autres partis, à la recherche d’une accréditation. Cerise sur le gâteau, le parti a présenté à Marrakech un islamiste radical qui appelle dans ses interventions à exterminer tous les juifs du monde.

En plus de la crise de crédibilité qui mine le parti des islamistes marocains, s’ajoute le poids de leur bilan économique et social largement déficitaire, voire même catastrophique.

L’économie marocaine n’a plus connu un taux de croissance approchant les 4% depuis 2011, date de constitution de ce gouvernement. Le haut commissariat au plan ne prévoit pas plus de 1,5% en 2016 et 3,5% en 2017. Le PJD avait promis 7% lors de sa précédente campagne électorale. La dette publique est à son plus haut niveau, l’enseignement public est toujours dans état déplorable avec, dans certaines localités, des classes de 50 élèves ou plus, rassemblant plusieurs niveaux à la fois.

La Santé est toujours inaccessible aux citoyens les plus pauvres, la recherche scientifique est complètement négligée, le gouvernement ne lui accorde qu’une petite aumône, vite dilapidée en frais de voyages et d’abonnement à quelques revues scientifiques.

Dans les infrastructures, le gouvernement n’a rien ajouté au plan déjà établi avant eux, en matière d’autoroutes, de chemin de fer, de ports d’aéroports…Ils se sont contentés de suivre l’exécution de ce qui a déjà été planifié.

Côté emploi, en 2015, l’économie n’a créé que 33.000 postes, soit beaucoup moins que la moyenne observée depuis le début des années 2000.

Comment vont-ils alors faire pour convaincre les électeurs ? Pour cela, ils ont trouvé une astuce, pas géniale d’ailleurs qui consiste à dire ceci : « Si nous n’avons pas pu faire ceci ou cela, c’est parce que l’Etat profond nous en a empêché ». Stratégie de la victimisation où ils excellent, nous l’avons vu dans tous les pays où les islamistes sont actifs en politique. Cette notion d’Etat profond que les islamistes marocains ont reprise de leurs maîtres turcs, est très dangereuse et le PJD ne l’ignore pas.

Elle pousse à se demander qui est derrière cet état profond. Est-ce le roi lui-même ? On laisse planer le doute. Un doute renforcé par des déclarations tonitruantes par lesquelles le chef de file des islamistes, qui est en même temps le chef du gouvernement de coalition (qui comprend aussi des « communistes », il ne faut pas l’oublier), tend à montrer à ses followers qu’il est sur même le pied d’égalité avec le roi.

Il espère ainsi gagner quelques galons sur l’échelle du pouvoir. En plus, il ne cesse de répéter que si son parti le PJD ne gagne pas aux élections, ce sera les troubles, la rue, comme il dit. Il essaie d’autre part de vendre l’idée que c’est sa formation politique et le Mouvement Unité et Réforme, son mentor islamiste qui sont les vrais protecteurs de la monarchie. D’une part, ils créent la psychose et d’autre part, ils se présentent comme l’unique rempart contre elle.

Aujourd’hui, à quelques semaines de la campagne électorale, les partis de la majorité menée par l’islamiste PJD essaient de préparer un document retraçant le bilan du gouvernement. Une présentation publique a été annoncée pour aujourd’hui vendredi 2 septembre. Elle a été reportée à « une date ultérieure » pour une raison simple. Quelle méthode de présentation adopter afin que chaque parti puisse en tirer profit en fonction des départements qu’il gère dans le gouvernement ? Bataille.

L’œuvre ne va pas être facile à finaliser puisque même des partis de la coalition accusent le PJD de vouloir s’approprier tous les bénéfices d’un bilan déjà pas très joyeux.

Hakim Arif