PAR AHMED CHARAI

Les événements se bousculent en Afrique, des coups d’État se succèdent, l’émigration illégale vers l’Europe explose, mais c’est dans ces temps difficiles qu’il faut développer des lectures pertinentes, apaisées et non pas des réactions épidermiques.

L'Afrique devrait connaître le deuxième taux de croissance le plus rapide du monde en 2023-24, démontrant ainsi la résilience de ses économies. En 2023-24, la croissance moyenne du PIB réel de l’Afrique - projetée à 4,1%, contre 3,8% en 2022 - sera supérieure à la moyenne mondiale de 2,9% et à celle de l’Europe de 1,1% ; seule la croissance de l’Asie de 4,3 % sera plus élevée.

Le sol du continent recèle entre 20 et 90% des minerais nécessaires aux industries de l’avenir telles que celles liées à la transition énergétique ou aux solutions de stockage de l’énergie. La fabrication en masse des véhicules électriques n’est pas possible sans le recours aux ressources naturelles de l’Afrique. Ce potentiel offre des perspectives réelles de développement, mais est rarement exploité à bon escient.

L’autre atout de l’Afrique, c’est l’extrême jeunesse de sa population. On estime que celle-ci passera à 2,4 milliards en 2050, comparativement à d’autres continents où le vieillissement de la population est un frein à la croissance, cette jeunesse mise dans de bonnes conditions, avec un système éducatif efficient, est un véritable atout pour l’avenir et pour relever les défis du développement économique et social.

Mais l’Afrique est aussi contrainte par une série de problèmes qui nécessitent des solutions à la fois profondes et rapides. Alors que son impact dans le réchauffement du climat n’est que de 3%, c’est le continent africain qui en subit les conséquences les plus désastreuses. La question de l’eau est devenue cruciale et de larges territoires sont menacés de désertification, obligeant les populations à migrer. Les phénomènes migratoires intercontinentaux sont les plus importants au niveau mondial relativement à la population. Le plus grand fléau est l’extrême pauvreté d’une grande partie de la population.

Ce phénomène est structurel même s’il a été aggravé par le cycle inflationniste que traverse l’économie mondiale depuis la Covid-19 et la crise ukrainienne, qui a déclenché la hausse des produits alimentaires de base.

La source du phénomène de pauvreté est intrinsèquement liée à la mauvaise gouvernance qui est la règle depuis les indépendances, en dehors de quelques exceptions notables. La corruption est très répandue, plombant les politiques publiques et affectant de manière dramatique les potentiels de développement.

Il est de bon ton d’incriminer les anciennes nations colonisatrices. Il est vrai que celles-ci ont toujours préféré l’exportation des ressources à l'état brut, sans la moindre transformation locale, qu’elles ont souvent soutenu des dictatures corrompues et qu’elles ont préféré le paternalisme à l’accompagnement. Mais les élites africaines n’ont jamais réussi à trouver des consensus nationaux en faveur de systèmes politiques stables et inclusifs, préférant le tribalisme et le populisme à la lutte politique autour d’un projet de société.

Là où cela a été le cas, la croissance est au rendez-vous, l’éducation progresse et la pauvreté régresse.

Le Roi Mohammed VI avait appelé, il y a plus d'une décennie à Abidjan, à ce que les ressources africaines et les investissements profitent à la population en assurant le développement humain.

La critique de la corruption des pouvoirs élus s’est généralisée en Afrique subsaharienne. Le retour de l’autoritarisme en Afrique est encouragé par l’affirmation des dictatures sur la scène internationale.

À défaut de produire un modèle autochtone, des dirigeants africains sont séduits par un modèle - celui de la Chine - et se voient proposer des soutiens alternatifs à ceux des Européens. Le fait que la Chine soit devenue le principal partenaire économique du continent, que la Turquie y ait construit sa première base militaire à l’étranger (en Somalie) et que la Russie de Poutine «redécouvre» l’Afrique reconfigurent le jeu des influences sur le continent.

La régression démocratique en Afrique reflète aussi les dynamiques entre grandes puissances. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les derniers coups d’État.

Le sentiment anti-français est lié au refus de Paris de changer de paradigme. Les soldats locaux sont acclamés par le peuple dont ils sont les fils, parce que ces peuples sont exaspérés par l’inefficacité de l’État et l’absence de services publics d’un niveau acceptable.

Le Roi Mohammed VI avait appelé, il y a plus d'une décennie à Abidjan, à ce que les ressources africaines et les investissements profitent à la population en assurant le développement humain. Les USA ont raison de refuser les interventions militaires étrangères qui ne feraient que cristalliser les défiances et fragiliser les États.

Washington a un rôle de premier plan à jouer, et ce pour plusieurs raisons. D’abord l’Amérique n’a pas de passif colonial, ce qui est un avantage certain dans le contexte actuel. Ensuite, si les USA sont fidèles à leurs valeurs, ils développeront une politique d’accompagnement pour le renforcement des éléments de démocratie, combattre la corruption et encourager les investissements. Ils pourront s’appuyer sur des alliés qui partagent cette vision et qui ont une influence grandissante en Afrique, le Maroc en est un exemple évident.

Les Africains n’ont pas suffisamment profité de l’exploitation minière dans le passé, alors que celle-ci a entraîné la déforestation et la pollution. L’industrie minière a contribué à hauteur de 8% aux revenus publics totaux dans les 15 économies africaines les plus dépendantes de l’exploitation minière, mais n’a généré que peu d’opportunités pour les entreprises africaines.

Les États-Unis peuvent apporter beaucoup au continent et à ses habitants, d'abord pour leur permettre d'exploiter de manière plus transparente leurs ressources naturelles, ce qui contribuera à développer durablement l'Afrique. Ensuite accompagner, sans ingérence ou arrogance, les gouvernements africains à construire leur démocratie et leur donner les outils d'une gouvernance moderne, capable de leur permettre de faire face aux défis économique et sécuritaire. C’est de cette politique d’accompagnement que le continent africain a besoin pour utiliser son potentiel au profit du développement, en faveur de ses populations.

Le leadership américain, dans le cadre des institutions internationales, permettrait à l’Afrique de sortir du sous-développement et de faire profiter l’économie mondiale de son réservoir de croissance. Sinon les dictatures rempliront le vide et amèneront l’Afrique vers d’autres tragédies.