La question de la restitution des crânes sakalava pourrait connaître une avancée à la fin du mois de décembre, lors de la visite de Jean-Luc Martinez, ancien directeur du Musée du Louvre et actuellement ambassadeur thématique chargé de la coopération internationale dans le domaine du patrimoine.
Le déplacement à Antananarivo s'inscrit dans un contexte historique et diplomatique majeur pour la France et Madagascar. L'ancien directeur du musée parisien aura pour mission de faire avancer un dossier longtemps porté par la capitale malgache, celui de la restitution de restes humains, témoins tragiques de la période coloniale.
En octobre dernier, la ministre française de la Culture, Rachida Dati, et son homologue malgache, Volamiranty Donna Mara, ont donné un signal fort en lançant les travaux du comité conjoint d’experts chargé d’évaluer la demande de restitution formulée par Madagascar. Ce comité, composé de spécialistes français et malgaches, doit prendre une décision sur le sort de trois crânes sakalava, dont celui présumé du roi Toera, décapité en 1897 lors d'une campagne militaire française menée dans l'ouest de l'île, un an après l’annexion de Madagascar par la France sous le commandement du général Gallieni. Cette étape pourrait marquer la fin d’une longue attente pour Madagascar et ouvrir la voie à une réparation symbolique des blessures historiques laissées par la colonisation.
La rencontre de décembre s’inscrit dans la continuité de la loi adoptée en décembre 2023 en France, facilitant la restitution de restes humains prélevés dans des conditions inacceptables, en dérogation à la règle d’inaliénabilité des collections publiques. Cette législation s’inscrit dans la politique mémorielle voulue par Emmanuel Macron, qui, depuis sa prise de fonction en 2017, a fait de la restitution des biens culturels et humains une question centrale dans l’apaisement des mémoires entre la France et ses anciennes colonies africaines, comme le rappelle Rachida Dati. Ainsi, la restitution des crânes sakalava s’ajouterait au retour de la couronne du dais de la dernière reine de Madagascar, Ranavalona III, qui a eu lieu en novembre 2020, bien qu'elle doive encore faire l'objet d'une loi pour en garantir le caractère définitif.
Ce geste symbolique vient après de nombreuses années de revendications par les descendants de la famille royale sakalava, qui réclament depuis longtemps la restitution des crânes de leurs ancêtres, décapités et envoyés en Europe comme trophées de guerre. L’attaque du village royal d’Ambiky, où le roi Toera a été capturé et décapité par les troupes coloniales, reste un événement traumatique majeur dans l’histoire de Madagascar. L’incident, qui a eu lieu la nuit du 29 au 30 août 1897, fait partie de cette période douloureuse où les troupes coloniales, dans le but de pacifier la région du Menabe, ont massacré un nombre de personnes estimé entre 100 et 5 000, en fonction des sources. Les têtes coupées, dont celle de Toera, furent envoyées en France en guise de trophées de guerre.
La décapitation des membres de la royauté sakalava, particulièrement du roi Toera, a profondément marqué la mémoire collective du peuple malgache. L'historienne Klara Boyer-Rossol, dans une tribune publiée dans *Le Monde* en décembre 2016, revient sur ce traumatisme, soulignant l'importance de ce geste symbolique de restitution pour réparer les blessures du passé. Elle interpellait alors le Muséum d’histoire naturelle sur la demande d'ADN formulée par les descendants de la famille royale, une demande restée sans réponse pendant plusieurs années.
Les recherches sur les crânes sakalava, menées par des scientifiques en 1898, ont confirmé que des têtes étaient envoyées en France, dont celles de Toera et de deux de ses soldats. Des prélèvements d'ADN ont été réalisés en 2018 sur ces crânes et sur un squelette appartenant au roi Toera, déposé au Muséum d’histoire naturelle, mais la mauvaise qualité des échantillons n’a pas permis d’en confirmer l’identité de manière formelle.
Dans ce contexte, la visite de Jean-Luc Martinez, en tant qu’ambassadeur chargé du patrimoine, revêt un caractère symbolique. Elle marque un tournant potentiel dans les relations entre la France et Madagascar.