En Libye, chaque élection cristallise des ambitions et des rivalités, le scrutin municipal pourrait bien être un nouvel épisode révélateur des défis qui entravent le chemin vers une transition démocratique durable.
Saïf al-Islam Kadhafi, fils du défunt dirigeant Mouammar Kadhafi, a affirmé avoir remporté une « victoire écrasante » lors des élections municipales libyennes organisées le 16 novembre dans 58 municipalités. Cette déclaration, relayée par les médias locaux, intervient alors que la Commission électorale nationale (Hnec) a décidé de reporter d’une semaine la publication des résultats officiels.
Le report, qualifié d’« inédit » par Saïf al-Islam, a suscité de vives réactions de sa part. « Ce délai soulève des interrogations et ne doit pas être interprété comme une tentative de contrecarrer la volonté populaire. À ceux qui cherchent à effacer cette réalité, nous disons : vous n’y parviendrez pas », a-t-il déclaré dans un communiqué. Le taux de participation, estimé à 74 %, souligne l’importance de ce scrutin pour une population aspirant à davantage de stabilité après plus d’une décennie de troubles politiques.
Abou Bakr Marda, membre du conseil d’administration de la Hnec, a justifié ce report par la nécessité de finaliser le transfert des bulletins de vote au centre statistique de Tripoli, alors que les résultats étaient initialement attendus dans les 48 heures suivant le vote. Ce délai alimente toutefois les spéculations dans un climat politique tendu, où les rivalités entre factions demeurent vives.
À 52 ans, Saïf al-Islam Kadhafi reste une figure emblématique et controversée de la scène libyenne. Recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité présumés, il bénéficie néanmoins d’un soutien significatif parmi les nostalgiques du régime de son père. Sa candidature aux élections présidentielles de 2021, avortées en raison de l’impasse politique, avait déjà témoigné de son ambition de revenir au premier plan.
Diplômé de la London School of Economics et ancien artisan de la libéralisation économique sous le régime de Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam avait été perçu comme le « visage moderne » de la Libye avant la chute du régime en 2011. Condamné à mort en 2015 par la justice libyenne, il a été libéré en 2017 à la suite d’une amnistie, mais reste depuis discret, évoluant dans l’ombre.
Le contexte politique actuel en Libye demeure marqué par la fragmentation et l’instabilité. Deux coalitions rivales se disputent le pouvoir : le gouvernement d’unité nationale (GUN) basé à Tripoli et dirigé par Abdelhamid Dabaiba, reconnu par la communauté internationale et soutenu principalement par la Turquie, et un exécutif parallèle à Benghazi, conduit de facto par le général Khalifa Haftar, avec l’appui de la Russie.
Malgré les efforts de la communauté internationale, dont un plan lancé par l’ONU en 2023 pour adopter des amendements constitutionnels et organiser des élections inclusives, les blocages politiques persistent. Les divisions entre les différentes factions, ainsi que l’influence croissante des partisans de l’ancien régime Kadhafi, compliquent toute perspective de stabilisation à court terme.
Si la revendication de victoire de Saïf al-Islam Kadhafi se confirme, elle pourrait renforcer son influence auprès de ses partisans, mais également exacerber les tensions dans un pays où l’équilibre repose sur des alliances précaires entre familles puissantes et factions armées. Le report des résultats, perçu par certains comme un potentiel stratagème politique, risque de fragiliser davantage le climat déjà instable.