La création de l’AES s’inscrit dans une dynamique visant à dépasser les simples considérations de sécurité pour élargir la coopération à des domaines aussi variés que l’économie, la diplomatie et le développement social.


Dans un contexte géopolitique marqué par des tensions croissantes et des ruptures diplomatiques, l’Alliance des États du Sahel (AES), composée du Mali, du Niger et du Burkina Faso, poursuit sa volonté d’approfondir son intégration, avec l’introduction d’un projet de passeport commun destiné à harmoniser les documents de voyage et d’identité dans leur espace régional. Cette initiative, annoncée lors d’une réunion à Bamako le 22 novembre 2023, vise non seulement à renforcer les liens entre ces pays, mais également à marquer un tournant décisif dans leur relation avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Le projet, porté par les ministres en charge de la sécurité des trois pays, prévoit la création de passeports et de cartes nationales d’identité alignés sur des spécifications techniques communes. Cette harmonisation, qui s’inscrit dans une dynamique d’intégration plus poussée, doit être validée par les chefs d'État des trois pays avant d’entrer en vigueur. Toutefois, au-delà de l’aspect technique et pratique de cette mesure, il apparaît clairement qu’il s’agit d’un nouvel acte dans le processus de distanciation des trois États vis-à-vis de la CEDEAO, une organisation sous-régionale qu’ils ont progressivement écartée depuis 2023.

L’annonce de ce projet de passeport commun survient dans un contexte de défiance envers la CEDEAO, depuis que cette organisation a imposé des sanctions économiques sévères après les coups d'État militaires qui ont secoué ces trois pays en l’espace de quelques années. En 2021, le Burkina Faso a connu son premier putsch, suivi par le Mali en 2022 et le Niger en 2023, chacun entraînant une réaction de la CEDEAO sous forme de suspensions politiques et de sanctions économiques.

En réponse à ces mesures punitives, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé, en septembre 2023, de quitter la CEDEAO et de fonder l’AES, une organisation créée pour renforcer la coopération et la solidarité entre ces trois pays. Par cette décision, les dirigeants des trois États ont exprimé leur rejet des mécanismes de décision de la CEDEAO, qu’ils jugent trop influencés par la France, un pays qu’ils considèrent comme ayant des intérêts contraires aux leurs dans la région.

L’AES : un projet d'intégration régionale plus vaste

En juillet 2024, les trois pays ont franchi une nouvelle étape en annonçant la mise en place d’une Confédération des États du Sahel, au cours du premier sommet tripartite à Niamey. Cette confédération, présidée par le malien Assimi Goïta, vise à renforcer la coopération régionale, notamment dans la lutte contre le terrorisme, un fléau qui frappe ces pays depuis plus d’une décennie.

Lors de ce sommet, les dirigeants des trois pays ont réaffirmé leur engagement à se soutenir mutuellement dans la gestion des défis sécuritaires, tout en confirmant leur retrait définitif de la CEDEAO, qu’ils considèrent désormais comme une organisation inadaptée à leurs réalités et sous l’influence néocoloniale de la France. Cette position, bien que symbolique dans un premier temps, traduit un changement de cap profond dans les relations de ces États avec l'Afrique de l’Ouest et le reste du continent.

En plus des questions sécuritaires, l’AES a clairement exprimé sa volonté d’aller au-delà des aspects politiques et militaires en développant des instruments économiques propres. Dans ce cadre, la charte de l'AES, paraphée en septembre 2023, prévoit l’instauration de mécanismes financiers dédiés à la mise en œuvre de politiques économiques et sociales adaptées aux besoins de la région. Le ministre burkinabè du Commerce et de l’Industrie, Serge Poda, a ainsi souligné, le 18 octobre 2024, que l’organisation prévoit de se doter d’« instruments propres pour le financement » de sa politique économique, ajoutant ainsi une dimension de développement nécessaire à la stabilité et à la prospérité des trois pays.

En parallèle, les États membres de l’AES continuent de faire partie de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), une autre organisation sous-régionale qui, à l’instar de la CEDEAO, promeut la libre circulation des personnes et des biens ainsi que l’intégration économique. Cependant, alors que l’UEMOA dispose de mécanismes de coopération économique plus intégrés, les trois États membres de l’AES semblent vouloir s’affranchir progressivement de l’influence de ces structures supranationales au profit d’un modèle plus autonome et centré sur leurs propres priorités.