Le président récemment réélu de l’État régional du Jubaland, accusé « d’atteinte à l’unité nationale », Madobe fait face à de graves répercussions suite à un scrutin jugé « illégal » par le gouvernement central.
Le 27 novembre, un tribunal de la capitale somalienne, Mogadiscio, a ordonné un mandat d’arrêt contre Ahmed Madobe, président du Jubaland, à la suite de sa réélection dans des conditions controversées. Accusé d’atteinte à l’unité nationale et de haute trahison, ce nouvel affrontement entre le chef de l’État régional et le gouvernement fédéral somalien témoigne de l’ampleur des fractures politiques qui divisent le pays.
La décision du tribunal est survenue quelques jours après la réélection de Madobe, qui a remporté un troisième mandat à la tête du Jubaland, une région située au sud de la Somalie, lors d’un scrutin qui n’a pas été reconnu par le gouvernement central. Ce dernier estime que la réélection de Madobe est contraire à la constitution, qui limite à deux le nombre de mandats pour un président. Ainsi, le gouvernement de Mogadiscio considère ce processus comme « illégal » et s’oppose fermement à la prolongation du pouvoir de l’ex-seigneur de guerre.
Ahmed Madobe, figure emblématique du Jubaland depuis 2012, a été réélu par le parlement régional du Jubaland après une élection marquée par des tensions politiques et des accusations de fraude. Un peu plus tard, le procureur général somalien a présenté une demande de mandat d’arrêt à l’encontre de Madobe, affirmant que ce dernier aurait violé plusieurs articles de la constitution somalienne. Selon l’acte d’accusation, Madobe serait responsable de « partage d’informations sensibles avec un pays étranger », ainsi que d'« attaques contre le cadre constitutionnel de la Somalie », ce qui a conduit le tribunal régional de Benadir à émettre l’ordre d’arrêt. Le commandant de la police nationale somalienne a donc été chargé d’exécuter cette décision, avec pour objectif de faire comparaître le président du Jubaland devant la justice.
Cette escalade survient dans un contexte déjà tendu, où les relations entre le gouvernement de Mogadiscio et les autorités régionales sont particulièrement conflictuelles. Depuis l’accession de Madobe au pouvoir en 2012, avec le soutien des forces kényanes, ses rapports avec le gouvernement central n’ont cessé de se dégrader. Ce dernier reproche notamment à Madobe de s’être trop rapproché de puissances étrangères, telles que le Kenya et l’Éthiopie, qui ont toutes deux des intérêts stratégiques dans la région. Le Jubaland, riche en ressources naturelles et à la frontière du Kenya, est perçu par ces pays comme un rempart contre la menace des shebabs, un groupe islamiste radical qui mène des attaques violentes dans toute la région.
Le gouvernement fédéral somalien, quant à lui, ambitionne de réformer le système électoral du pays en introduisant un suffrage universel direct d’ici 2025. Cette réforme, qui vise à démocratiser le processus électoral et à renforcer l’unité nationale, a été accueillie avec scepticisme par de nombreux dirigeants régionaux, dont Madobe. Le président du Jubaland s’est opposé à cette réforme, plaidant pour la préservation du système actuel, qui repose sur une élection indirecte, où les chefs de clan désignent les responsables politiques.
Les tensions sont également palpables au sein du parlement somalien, où les députés pro-Madobe ont tenté d’interrompre la session du mercredi 27 novembre. Malgré leurs efforts, la session s’est poursuivie et a permis l’approbation de la création d’une commission électorale de 18 membres, chargée de préparer les prochaines élections nationales. Cette commission représente un pas important vers la mise en place du suffrage universel direct, un objectif de longue date pour le gouvernement central.
La situation politique en Somalie reste marquée par un enchevêtrement complexe de rivalités entre les différentes entités fédérales. Le pays, toujours fragilisé par les conflits internes et les attaques incessantes des shebabs, peine à instaurer une véritable stabilité. Les cinq États semi-autonomes, le Puntland, le Jubaland, le Galmudug, le Hirshabelle et le Sud-Ouest, continuent de jouer un rôle majeur dans la gestion du territoire somalien, tout en revendiquant un pouvoir considérable face au gouvernement fédéral basé à Mogadiscio.
Le Jubaland, quant à lui, bénéficie d’une situation géographique stratégique et d’une relative prospérité, notamment grâce au port de Kismayo, qu’Ahmed Madobe a repris des mains des shebabs en 2012 avec l’aide de troupes kényanes. Cette reconquête a permis au Jubaland de s’imposer comme un acteur clé dans la lutte contre le groupe terroriste, tout en consolidant les alliances régionales, notamment avec le Kenya et l’Éthiopie.