Les tensions diplomatiques entre la Somalie et l'Éthiopie ont franchi un nouveau seuil, vendredi, avec des accusations explicites d'« ingérence » formulées par Mogadiscio. Cette escalade marque un épisode supplémentaire dans un conflit larvé qui alimente les relations tendues entre ces deux voisins depuis près d'un an.
La controverse a éclaté après que le gouvernement somalien a dénoncé le déploiement de forces éthiopiennes dans le district de Bulohawo, au cœur de la région méridionale de Gedo, une zone frontalière stratégiquement sensible. Selon un communiqué émis par le ministère somalien de l'Information, de la Culture et du Tourisme, ces troupes auraient été arrêtées dans leur progression par une combinaison de communautés locales et de forces armées somaliennes.
« Le gouvernement somalien condamne fermement les actes odieux perpétrés par le gouvernement éthiopien dans la région de Gedo, qui visent à exacerber les tensions claniques », a déclaré le ministère, accusant Addis-Abeba d'alimenter volontairement des divisions internes pour fragiliser la souveraineté somalienne.
Ce nouvel incident s’inscrit dans une toile complexe de rivalités géopolitiques. Les relations bilatérales entre la Somalie et l'Éthiopie se sont détériorées depuis janvier dernier, lorsqu’Addis-Abeba aurait signé un accord controversé avec le Somaliland, région autoproclamée indépendante du nord de la Somalie. Ce pacte, qui aurait permis à l'Éthiopie, pays enclavé, de louer un accès stratégique au littoral somalien pour y établir un port et une base militaire, a provoqué l’ire du gouvernement central somalien. Bien qu’Addis-Abeba n’ait jamais confirmé officiellement cet arrangement, Mogadiscio y voit une reconnaissance implicite de l’autonomie du Somaliland, perçue comme une atteinte directe à l'intégrité territoriale de la Somalie.
Parallèlement, les tensions locales s'intensifient dans le Jubaland, l’une des cinq régions semi-autonomes de la fédération somalienne. La récente réélection du président régional Ahmed Madobe, une figure controversée et ancien chef de guerre, a amplifié les divergences entre Mogadiscio et Kismayo, capitale du Jubaland. Cette victoire, perçue comme un défi direct à l’autorité du gouvernement central, a exacerbé les fractures politiques internes, rendant la région encore plus vulnérable aux influences extérieures.
Dans son communiqué, Mogadiscio a appelé la communauté internationale à réagir face à ce qu’elle qualifie de « provocation délibérée ». « Ces mesures éthiopiennes, en alimentant de nouveaux foyers de conflits, risquent de compromettre la coexistence pacifique dans la région », a averti le ministère somalien, réaffirmant que le pays était prêt à « défendre son indépendance et sa souveraineté ».
La région de Gedo, où l’incident s’est produit, est un territoire sensible. Carrefour géopolitique, elle est convoitée pour son positionnement stratégique près de la triple frontière avec l'Éthiopie et le Kenya. Les affrontements entre milices locales, troupes fédérales et groupes armés comme les shebabs, y sont fréquents, accentuant la complexité de la situation.
Silence éthiopien
À Addis-Abeba, les autorités éthiopiennes n'ont, pour l’heure, fait aucun commentaire sur ces accusations. Ce mutisme contraste avec l'ampleur de la controverse et laisse planer des incertitudes sur les intentions réelles de l'Éthiopie.
Toutefois, ce silence pourrait s’expliquer par des préoccupations internes. L’Éthiopie, encore fragilisée par le récent conflit au Tigré, cherche à consolider sa stabilité intérieure tout en renforçant son influence régionale. Dans ce contexte, son implication présumée dans le Jubaland pourrait être interprétée comme une tentative de redéfinir les équilibres géopolitiques à son avantage.