Succès Masra, un des principaux opposants tchadiens, de retour d'exil en novembre après un accord de réconciliation, a été nommé lundi Premier ministre par le président de transition Mahamat Idriss Déby Itno.

"Le Docteur Succès Masra est nommé Premier ministre, chef du gouvernement de transition", a annoncé sur la chaîne de télévision d'Etat le secrétaire général à la présidence de la République, Mahamat Ahmat Alabo.

Le président du parti Les Transformateurs avait été parmi les plus virulents opposants au pouvoir militaire en place depuis deux ans et demi, après la mort d'Idriss Déby Itno, en avril 2021, qui dirigeait le pays d'une main de fer depuis 30 ans.

Quelques jours avant le scrutin référendaire du 17 décembre, M. Masra avait toutefois publiquement appelé son camp à voter oui pour la nouvelle constitution promulguée vendredi, étape-clé censée ouvrir la voie à des élections.

Pendant la campagne référendaire, il avait avancé l'argument selon lequel l'adoption du projet accélérerait également la fin de la transition alors que le reste de l'opposition, fortement divisée, appelait à voter non ou à un boycott du vote.

Portrait

Succès Masra est né en 1983, à Béboni dans le Logone oriental, une région du sud du pays à majorité chrétienne. Il grandit dans une famille modeste mais parvient à achever de brillantes études au Cameroun, en France et en Angleterre, jusqu'à devenir docteur en économie.

Malgré ses engagements associatifs, presque politiques, il poursuit sa voie en devenant économiste à la Banque africaine de développement (BAD). Il quitte ce poste en 2018 pour lancer son parti mouvement politique, pour "impacter économiquement et socialement" la vie de ses compatriotes tchadiens. Il envisage de se présenter à l'élection présidentielle d'avril 2021 contre Déby père, sous l'étiquette de son mouvement qu'il entreprend de transformer en parti politique. Sa candidature sera rejetée au motif qu'il n'atteint pas l'âge minimal requis de 40 ans et que son parti, Les Transformateurs, n'était pas encore "légalement constitué."

Succès Masra parvient tout de même à mobiliser les foules lors des manifestations de l'opposition systématiquement interdites. Le 20 octobre 2022, avec Wakit Tamma, une autre plateforme de l'opposition, il appelle à manifester contre la prolongation de deux ans de Mahamat Déby à la présidence après une première période de transition de 18 mois, décrétée sur recommandation d'un dialogue de réconciliation nationale qu'ils avaient boycotté. Ce jour-là, une cinquantaine de personnes selon les autorités, entre une centaine et 300 selon l'opposition et des ONG locales et internationales, pour la quasi-totalité de jeunes manifestants, ont été tués par les balles des militaires et policiers, essentiellement à N'Djamena.

Face à la répression constante de l'opposition, Succès Masra a dû fuir le pays pour sa sécurité, assurant être recherché par "la garde présidentielle". Depuis son exil, il dénonçait les menaces et intimidations dont ses partisans, encore dans le pays, pouvaient faire l'objet.

Au terme d'un an passé à l'étranger, dans un pays non divulgué, Succès Masra et Mahamat Déby signent un accord de réconciliation à Kinshasa sous la médiation du président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi. Cet accord prévoit notamment une "amnistie générale" pour les responsables des meurtres de manifestants le 20 octobre 2022.

Les autres forces de l'opposition dénoncent cet accord dans lequel elles disent ne pas se reconnaître, fustigeant déjà un ralliement dans la perspective des élections promises pour 2024. Alors que les ONG locales et internationales, ainsi que les organisations de la société civile continuent à réclamer des investigations indépendantes concernant le "Jeudi noir", Masra prône la réconciliation, et rentre au Tchad.

Dans un discours face à ses partisans fin novembre, il demande à ses troupes de "l'apaisement" et de "ne pas réclamer vengeance". Il désigne alors Mahamat Déby comme "un frère" et appelle "à poursuivre avec les autorités pour trouver une solution globale". Pendant la campagne référendaire, il a un temps laissé plané le doute sur la consigne de vote de son parti avant d'inviter les électeurs qui le suivent à se prononcer pour le oui, désignant ce choix comme le "moindre mal" pour mettre fin à cette période de transition. Ce ralliement au gouvernement a définitivement consommé la rupture avec les autres forces d'opposition.

 

Avec AFP