L'intelligence économique (IE) émerge comme un levier stratégique essentiel pour renforcer la compétitivité des économies africaines à l’heure où l’Afrique est confronté à des défis socio-économiques et géostratégiques immenses, explique Rachid Beddoaui*, dans cette analyse.
L'Afrique possède une richesse incontestable en ressources naturelles, qui constitue un atout majeur pour son développement économique. Le continent détient environ 30 % des réserves mondiales de ressources minérales, 8 % du gaz naturel et 12 % du pétrole, tout en concentrant 65 % des terres arables et 10 % des sources mondiales d'eau douce renouvelable.
De plus, l'Afrique abrite 40 % de l’or de la planète et près de 90 % des réserves mondiales de chrome et de platine, ainsi que les plus grandes réserves de cobalt, de diamant et d’uranium. Ce potentiel est renforcé par une population jeune et dynamique, représentant environ 18 % de la population mondiale en 2023.
Cependant, malgré ces ressources exceptionnelles, l'Afrique peine encore à s'imposer pleinement dans l’économie mondiale. Bien qu'il existe des avancées dans les domaines du commerce, des investissements et des partenariats, le continent reste largement marginalisé dans les chaînes de valeur mondiales. Cette situation résulte de défis structurels et institutionnels importants, notamment des problèmes de gouvernance, d’instabilité politique et d'infrastructures insuffisantes, qui freinent l'exploitation optimale de ses atouts.
Dans ce contexte, l'intelligence économique (IE) émerge comme un levier stratégique essentiel pour renforcer la compétitivité des économies africaines. En collectant, analysant et utilisant des données stratégiques, l'IE permet de formuler des politiques économiques plus efficaces, de mieux orienter les investissements et de consolider les relations commerciales. Une approche coordonnée fondée sur l'exploitation optimale de ces ressources peut permettre à l'Afrique de surmonter ses défis et de s'intégrer durablement dans le commerce mondial.
Au fil des décennies, l'Afrique a été perçue comme un continent marqué par des défis économiques, politiques et sociaux majeurs. Toutefois, la situation est en train de changer. La croissance économique soutenue de plusieurs pays africains, la diversification des secteurs économiques et les réformes politiques en cours contribuent à une évolution favorable. Aujourd’hui, l'Afrique devient un terrain d'opportunités pour les investisseurs mondiaux, particulièrement dans les secteurs stratégiques comme l'énergie, les infrastructures, l'agriculture, la technologie et les ressources naturelles.
Cette transformation requiert un accès à des informations et à des renseignements économiques fiables, actualisées et contextualisées, permettant de comprendre les dynamiques locales, d'évaluer les risques politiques et de saisir les opportunités d'investissement. Dans ce cadre, l'intelligence économique s'impose comme une réponse stratégique aux enjeux rencontrés par les gouvernements, les entreprises et les décideurs, en offrant des analyses approfondies des dynamiques locales, des tendances économiques, des risques politiques et des acteurs influents.
Elle aide ainsi à prendre des décisions éclairées et à naviguer dans un environnement complexe. Par exemple, au Maroc, l’IE a permis d’identifier les opportunités de développement dans plusieurs secteurs, positionnant le pays comme un leader en Afrique du Nord.
Dans cette dynamique, l'Afrique demeure encore largement concentrée sur l'exportation de matières premières, ce qui la rend vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux. Dans ce contexte, l'intelligence économique peut jouer un rôle déterminant dans la diversification des économies africaines, en identifiant les secteurs à forte valeur ajoutée et en aidant à repérer les nouvelles opportunités dans des domaines tels que l'industrie manufacturière, les technologies de l'information, les énergies renouvelables et l'agriculture durable.
En effet, les données collectées par la veille stratégique permettent aux pays africains de repérer les tendances mondiales de consommation et d’orienter leurs investissements dans des secteurs porteurs. Par exemple, le Kenya, grâce à une analyse des besoins alimentaires mondiaux, a orienté sa politique agricole vers la production de produits alimentaires transformés pour répondre à la demande croissante en Asie.
De même, l’Afrique peut devenir un acteur majeur dans le domaine des énergies renouvelables, notamment l'énergie solaire et éolienne, en raison de ses ressources naturelles abondantes. L'IE peut aider à analyser les besoins énergétiques mondiaux et les politiques de transition énergétique dans d'autres régions, et ainsi attirer des investissements dans ce secteur stratégique.
Dans cette optique, pour renforcer la compétitivité des économies africaines sur la scène internationale, il est essentiel de favoriser l'innovation et la création de pôles de compétitivité. L’intelligence économique, grâce à sa capacité à surveiller les tendances globales et à anticiper les innovations, joue un rôle clé dans ce processus.
Ces clusters et pôles de compétitivité permettent de stimuler l'innovation, de renforcer la compétitivité des entreprises et d'encourager la collaboration entre les acteurs économiques, académiques et institutionnels.
Au Maroc, autre exemple parlant, les Cluster Solaires, les clusters numériques et technologiques, ainsi que les clusters AgroTech, jouent un rôle clé dans cette dynamique. Dans le même esprit, Konza Technopolis au Kenya, qui regroupe diverses entreprises, des institutions de recherche et des agences gouvernementales, est un exemple concret de la manière dont ces initiatives peuvent stimuler l'innovation et la productivité. Ces pôles sont cruciaux pour permettre à l'Afrique de s'engager dans des secteurs technologiques et industriels à forte valeur ajoutée.
Les initiatives liées aux projets d'énergies renouvelables au Maroc illustrent également comment l'intelligence économique peut être mobilisée pour développer des secteurs stratégiques et renforcer la compétitivité des pays à l'échelle régionale.
L'intelligence économique permet également aux pays africains de renforcer leurs capacités de négociation dans les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux en leur offrant une analyse approfondie des dynamiques des marchés internationaux, des risques économiques et politiques, ainsi que des opportunités émergentes. En anticipant les tendances globales et en suivant de près les événements géopolitiques, ces pays peuvent ajuster leurs stratégies pour négocier des accords plus avantageux. De plus, ce dispositif aide à identifier de nouveaux partenaires commerciaux et à diversifier les relations économiques, tout en optimisant la préparation des négociations grâce à des informations stratégiques.
L'intelligence économique devient donc un outil essentiel pour transformer les défis structurels de l'Afrique en opportunités de croissance durable et de développement. En intégrant l'IE dans leurs stratégies nationales, les pays africains peuvent mieux comprendre les dynamiques mondiales, diversifier leurs économies, attirer des investissements et améliorer leur position dans les chaînes de valeur mondiales. Pour ce faire, il est crucial de renforcer les capacités locales en intelligence économique, de promouvoir la coopération régionale et de tirer parti des technologies émergentes. L'Afrique peut ainsi se réinventer, se positionner comme un acteur économique majeur et participer activement à la transformation de l'économie mondiale.
* Doctorant en Intelligence économique et veille stratégique.