La levée de l’embargo sur les diamants centrafricains, bien qu’acclamée comme une victoire diplomatique pour Bangui, ne suffit pas à dissiper les profondes difficultés structurelles qui minent le pays. Les rivalités géopolitiques continuent de miner la gestion et l’exploitation des précieuses ressources naturelles de la République centrafricaine.


Après onze années d’interdiction, le Processus de Kimberley (PK) a finalement levé l’embargo pesant sur les diamants en provenance de la République centrafricaine (RCA). Cette décision, annoncée lors de la plénière annuelle du groupe à Dubaï le 15 novembre, marque un tournant historique : plus aucun diamant centrafricain ne sera désormais classé comme « diamant de conflit » par le système de certification. 

La nouvelle a été accueillie avec enthousiasme dans les rangs des délégations favorables à Bangui. Un représentant sud-africain, dans un geste symbolique, a célébré cet événement en soufflant dans une vuvuzela, tandis qu’une grande partie de l’audience se levait pour applaudir. Cependant, derrière cette scène de réjouissance, une bataille diplomatique acharnée a marqué les négociations. 

La décision de lever l’embargo a été farouchement contestée par un groupe de pays influents, notamment les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Union européenne. Ces derniers ont exprimé leurs inquiétudes quant aux relations étroites entre la RCA et la Russie, via notamment la présence controversée du groupe Wagner dans le pays. Pour ces puissances occidentales, l’assouplissement des restrictions pourrait indirectement renforcer l’influence russe en Afrique centrale, exacerbant des dynamiques géopolitiques déjà tendues. 

Le gouvernement centrafricain, quant à lui, n’a pas cédé face aux pressions. Par le biais de son ministre des Mines et de la Géologie, Rufin Benam Beltoungou, Bangui a salué une victoire diplomatique majeure, affirmant que cette décision contribuera au développement économique du pays. Selon le ministre, cette levée de l’embargo ouvre la voie à une exploitation légitime des ressources naturelles et à un soutien accru aux communautés artisanales. 

Malgré ce succès pour Bangui, la situation sur le terrain reste préoccupante. Selon un rapport récent de l’International Crisis Group, la RCA est toujours confrontée à des affrontements sporadiques entre les forces gouvernementales et des groupes rebelles, notamment dans les régions riches en ressources comme l’or et les diamants. Ces conflits persistent malgré l’accord de paix signé en 2019, laissant planer des doutes sur la capacité réelle du gouvernement à contrôler les zones minières et à garantir une exploitation transparente des ressources. 

Pour Hans Merket, chercheur à l’International Peace Information Service, l’embargo n’a pas atteint ses objectifs initiaux. « Au lieu de limiter l’influence des groupes armés et des mercenaires, il a favorisé la contrebande et les activités illégales, privant l’État centrafricain de revenus cruciaux », déclare-t-il. Il appelle à une approche plus globale pour résoudre les problèmes structurels de la RCA, notamment la corruption, la fraude massive et la porosité des frontières. 

Un Processus de Kimberley critiqué

La décision de lever l’embargo a également ravivé les débats sur l’efficacité et la pertinence du Processus de Kimberley. Bien que ce dernier ait été conçu pour empêcher les « diamants de sang » de financer des conflits, ses détracteurs dénoncent des limites structurelles et un manque de réformes profondes. 

Dans une déclaration officielle, la Coalition de la société civile du Processus de Kimberley (KPCSC) a averti que cette décision devait être un signal d’alarme : « Si le seul outil à disposition du PK dans son mandat restreint est inefficace, cela souligne l’urgence d’une réforme significative. » 

Feriel Zerouki, présidente du Conseil mondial du diamant, nuance cependant ces critiques. Elle estime que la levée de l’embargo est une mesure pragmatique, affirmant que la récente mission d’évaluation du PK a confirmé que la RCA respecte désormais les exigences minimales de certification. 

La levée de l’embargo pourrait transformer le secteur minier centrafricain, qui emploie entre 150 000 et 300 000 travailleurs artisanaux. Ces communautés, souvent marginalisées, pourraient enfin bénéficier d’un accès légitime aux marchés internationaux. Cependant, cette transition nécessitera des mécanismes robustes pour assurer une redistribution équitable des bénéfices et prévenir la résurgence de trafics illicites. 

Le Processus de Kimberley, pour sa part, a adopté de nouvelles mesures pour renforcer son fonctionnement, notamment la numérisation de ses archives et l’introduction d’une coprésidence des pays à faible PIB. Cette dernière initiative vise à diversifier et inclure davantage de nations dans le leadership du PK, tout en répartissant les coûts organisationnels.