À l’horizon 2050, l’Afrique devrait devenir le continent le plus urbanisé au monde, avec une population citadine qui triplera en 25 ans. Mais derrière cette expansion démographique vertigineuse se profile une menace majeure.
La prolifération des bidonvilles, alimentée par une urbanisation anarchique et un manque criant d’infrastructures ne cesse de renforcer les problèmes qui secouent le continent. Cette alerte, émise par des experts lors d’une table ronde tenue dans le cadre de l’Africa Investment Forum 2024, a marqué les débats organisés du 4 au 6 décembre à Rabat.
Lors de la session intitulée « Mobilisation des financements pour le développement et la planification urbaine », les intervenants ont dressé un tableau sans équivoque : sans des investissements massifs équivalents à 5,5 % du PIB des pays africains, les grandes métropoles du continent continueront à pâtir d’un déficit structurel. Pour Abimbola Akinajo, directrice générale de Lamata au Nigeria, « les grandes villes africaines partagent une même réalité : le manque de financement ».
Eric Gumbo, directeur associé de G&A Advocates LLP au Kenya, a insisté sur l’urgence d’une meilleure planification. « L’absence de stratégies cohérentes entraîne le développement incontrôlé des bidonvilles et un manque d’infrastructures adaptées », a-t-il souligné. Par ailleurs, le ratio dette/PIB avoisinant les 65 % dans plusieurs pays freine les capacités d’emprunt des États, exacerbant les difficultés des villes à répondre à la pression démographique.
Face à ces défis, les panélistes ont exploré plusieurs pistes pour mobiliser les financements nécessaires. Hastings Chikoko, directeur principal des villes à Big Win Philanthropy, a plaidé pour une diversification des sources d’investissement. Cela inclut l’implication accrue du secteur privé, des institutions financières internationales et des fonds de pension, en complément des ressources publiques.
Ednick Muswell, chef du département de l’eau et de l’assainissement d’eThekwini, en Afrique du Sud, a présenté un exemple concret de gestion efficace. Grâce à une discipline budgétaire stricte et à une notation favorable, cette métropole attire des investisseurs et lève des fonds sur les marchés internationaux. Mais Muswell a aussi mis en garde contre une perception souvent biaisée des risques liés aux investissements en Afrique, ce qui renchérit les coûts d’emprunt.
Le rôle de la planification stratégique
Mohan Vivekanandan, directeur exécutif de la Banque de développement de l’Afrique australe (DBSA), a souligné l’importance d’une planification rigoureuse. « Les projets urbains doivent être structurés de manière à démontrer leur rentabilité pour attirer le secteur privé », a-t-il déclaré. Cette approche est soutenue par des institutions comme la Banque africaine de développement (BAD), qui travaille activement à offrir aux municipalités africaines un accès à des financements compétitifs via des partenariats public-privé.
Nezha Hayat, présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux, a rappelé les initiatives du Maroc, notamment l’émission d’obligations municipales et vertes. Ces outils financiers, adoptés dès 2016, ont permis à des villes comme Agadir de mobiliser des capitaux pour des projets structurants.
Les besoins des villes africaines sont colossaux : routes, logements, eau, assainissement. Selon Abdouraman Diallo, directeur général du Fonds de solidarité africain, ils représentent un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars. Thierno Habib-Hann, PDG de ShafDB, a insisté sur l’utilisation de technologies innovantes pour construire des logements abordables à 10 000 dollars, tout en attirant des investisseurs vers un secteur de l’habitat évalué à 700-800 milliards de dollars.
Clôturant la session, Solomon Quaynor, vice-président de la BAD, a annoncé que six projets majeurs, représentant plus de 4 milliards de dollars, ont déjà suscité l’intérêt des investisseurs lors des Boardrooms de l’Africa Investment Forum. Ce succès témoigne du potentiel de l’Afrique à structurer des projets attrayants pour les marchés financiers, à condition d’adopter des cadres réglementaires et une gouvernance exemplaires.
L’avenir urbain de l’Afrique repose donc sur une combinaison d’actions concertées entre États, municipalités, et partenaires financiers. L’enjeu est clair : transformer les défis liés à l’urbanisation en opportunités de développement durable pour un continent en pleine mutation.