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Conseils de ministre

Serigne Guèye Diop : «Il est temps que l'Afrique prenne véritablement son indépendance »

Serigne Guèye Diop
Serigne Guèye Diop
28/12/2023 à 13:20 , Mis à jour le 28/12/2023
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Transition durable en Afrique, rapprochement entre le Nord et le Sud, rôle du Maroc et du Sénégal dans cette démarche, intégration régionale... vision du député-maire de Sandiara et ministre conseiller du président du Sénégal, Serigne Guèye Diop, qui plaide pour une Afrique unifiée et proactive, guidée par des stratégies novatrices et autonomes.

Pouvoirs d'Afrique : Vous avez participé à un panel sur la transition durable en Afrique en marge d’Atlantic dialogues. Quelles ont été les principales conclusions et comment, selon vous, encourager la transition vers des pratiques durables sur le continent ?

Serigne Guèye Diop : Il est crucial de souligner deux aspects majeurs. Tout d'abord, la menace de pollution met en péril notre environnement, avec la dégradation des forêts, le réchauffement de la mer, le changement climatique, l'aridification croissante des terres agricoles, et la diminution des précipitations. Cependant, les inondations sont également un enjeu. Cela nécessite aujourd'hui une réflexion approfondie sur l'adoption de technologies durables, incluant l'utilisation d'engrais organiques et le recours à des sources d'énergie non fossiles telles que l'énergie solaire, éolienne, marémotrice, voire le gaz naturel.

Aujourd’hui, des millions d'agriculteurs africains dépendent de l'agriculture pour leur subsistance. Pour accroître le rendement, ils ont besoin d'énergie, d'engrais, de machines et de tracteurs. L'agriculture traditionnelle, caractérisée par des intrants limités, un labour minimal et peu de technologie, n'est plus viable et ne parvient plus à nourrir des familles nombreuses. Ainsi, nous sommes confrontés à un défi qui nécessite un dialogue entre l'Afrique et l'Europe. Malgré le fait que l'Afrique ne soit responsable que de 3% de la pollution mondiale, le monde occidental demande aux Africains, tant du Nord que du Sud, de réduire l'utilisation des énergies fossiles, notamment le pétrole et le gaz, au nom de la préservation de l'environnement. Alors que notre priorité demeure la sécurité alimentaire de nos populations.

Cet aspect du débat suscite un vif intérêt. Ce qui retient l'attention, c'est que les deux perspectives ne sont pas nécessairement contradictoires. De nouvelles technologies offrent aux Africains des moyens de produire de l'énergie, comme l'exemple du solaire au Maroc, où l'abondance de soleil est exploitée à travers d'importantes centrales solaires. De même, l'hydroélectricité, tirée des fleuves africains tels que le Sénégal, est une option soutenue par des projets exemplaires comme celui de l'OMVS, avec des initiatives similaires en Éthiopie et en Égypte. Il est crucial de sensibiliser les citoyens africains à adopter des pratiques moins polluantes et à contribuer à la durabilité environnementale. Cela nécessite des programmes scolaires adaptés, impliquant non seulement les adultes, mais aussi les étudiants, nos futurs leaders, et même les enfants, qui devraient apprendre à trier les matières organiques et non organiques tout en développant une sensibilité envers l'environnement.

En ce qui concerne les responsables politiques, dont je fais partie en tant que candidat à la présidence du Sénégal, la question est de savoir comment renforcer cette décision. Il s'agit d'écouter les scientifiques et d'adopter de nouvelles techniques pour réduire la pression de l'homme sur l'environnement. En même temps, il est crucial de veiller à ce que les populations puissent continuer à vivre de leur agriculture. Cela nécessite une formation aux nouvelles technologies visant à accroître le rendement par hectare et la productivité, tout en utilisant des méthodes innovantes.

Des recherches actuellement en cours ouvriront des perspectives pour apporter des solutions dans le futur. L'OCP a démontré son leadership en tant que porte-parole de l'Afrique, représentant les voix du Maroc et du Sénégal. Ma présence ici souligne l'urgence de prendre en compte les priorités africaines, le Sud ayant également sa propre voix. Ensemble, nous devons construire un monde durable où chacun trouve sa place

Le monde est en train de changer, et on assiste à une nouvelle reconfiguration mondiale. Où se positionne l'Afrique ?

À mon avis, le Maroc a suivi une orientation politique judicieuse, et je suis convaincu que l'Afrique devrait maintenant explorer une collaboration entre l'Afrique du Nord, l'Afrique du Sud, et l'Afrique au sud du Sahara, en tenant compte du fait que nous sommes un milliard de personnes. Avec nos ressources en gaz, pétrole, et des talents humains de premier ordre, des millions d'Africains sont parfaitement capables de réfléchir et de prendre en main leur destin. Ainsi, je soutiens l'idée que le Maroc, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Nigéria, l'Afrique du Sud, l'Égypte, et le Kenya doivent désormais jouer un rôle majeur.

A mon avis, le Maroc a suivi une orientation politique judicieuse, et je suis convaincu que l'Afrique devrait maintenant explorer une collaboration entre l'Afrique du Nord,, l'Afrique du Sud...

En premier lieu, en instituant une zone de libre-échange, nous avons suggéré l'idée de privilégier les échanges intra-africains plutôt que de dépendre des partenaires européens, américains, ou asiatiques. La deuxième proposition consiste à renforcer l'Union africaine en tant qu'équivalent de l'Union européenne, afin de promouvoir un point de vue africain distinct, au-delà des perspectives européennes, américaines, et chinoises. Ceci est d'autant plus crucial que les ressources naturelles telles que le gaz, le pétrole, les diamants, l'or, etc., sont présentes en abondance sur le continent africain. De plus, l'Afrique détient 60 % des terres arables mondiales, et sa jeunesse, représentant 35 % de la population totale, avec 70 % ayant moins de 35 ans, constitue un atout démographique significatif. Nous devons collaborer pour transformer cette jeunesse en une opportunité, exploitant les dividendes démographiques. Les jeunes Marocains et Sénégalais, par exemple, doivent être formés, dotés de compétences professionnelles, accéder à l'éducation universitaire, afin de devenir les futurs acteurs du développement et de prendre le relais.

En second lieu, comment pouvons-nous formuler une politique d'industrialisation ? Alors que l'Afrique produit abondamment des matières premières telles que les céréales, le blé, l'arachide, l'anacarde, nous les exportons dans leur état brut. Il est impératif de mettre fin à cette pratique, en transformant d'abord ces matières premières sur le continent afin d'y ajouter de la valeur, avant de les exporter, suivant l'exemple de l'Europe qui n'exporte jamais de matières premières brutes. En tant que décideurs et hommes politiques, nous devons réfléchir à la manière de ne plus répéter les erreurs commises depuis les indépendances. L'idée est de promouvoir une approche panafricaine, où nous pourrions évaluer les besoins spécifiques du Maroc et du Sénégal, par exemple, et favoriser un échange mutuel. Ce que le Maroc souhaite exporter, nous l'importons du Maroc, et vice versa, augmentant ainsi le commerce intra-africain.

Que pensez-vous du rôle que joue le Maroc dans cette démarche de rapprochement Nord-Sud ? Et quel est votre avis sur la vision royale centrée sur l'Atlantique ?

Le Maroc a judicieusement lancé son propre forum mondial, à l'image de Davos, où le point de vue occidental domine chaque année. Davos rassemble les décideurs mondiaux pour discuter des enjeux planétaires, mais il exclut souvent la voix africaine. Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers le Roi et le gouvernement marocain pour avoir envisagé la création d'un Davos africain, où la perspective du continent devient centrale. Tout en restant ouvert aux autres, ce dialogue a lieu sur le sol africain. À mon sens, c'est là la puissance et le rôle du Maroc, qui a déjà tracé la voie en tant que rassembleur, unifiant l'Afrique du Nord et l'Afrique au sud du Sahara.

Les nations africaines doivent sortir de leur zone de confort, investir mutuellement et encourager le commerce intra-africain.

Actuellement, le Maroc réalise d'importants investissements dans mon pays, le Sénégal, notamment au sein de la zone économique spéciale de Sandara. Des entreprises marocaines telles que l'OCP y apportent leur technologie, leur savoir-faire et contribuent à la formation de nos jeunes. C'est un bon début, mais il est essentiel que le Maroc poursuive ses investissements dans d'autres pays africains. De même, les autres nations africaines doivent sortir de leur zone de confort, investir mutuellement et encourager le commerce intra-africain.

Par ailleurs, le rôle du Maroc ne se limite pas aux aspects commerciaux. Il est crucial de promouvoir l'investissement dans l'industrie et la production. Cela inclut l'agriculture à haute valeur ajoutée, l'aviculture, et surtout l'industrialisation. Notre retard par rapport à l'Europe et notre future domination résident dans la science, la technologie et la production industrielle. C'est pourquoi je souligne l'importance d'une politique qui favorise la production industrielle de produits à haute valeur ajoutée dans toutes les grandes villes africaines, tels que les véhicules et les médicaments.

Enfin, ce qui distingue l'approche innovante du Maroc, c'est la décision de prendre son destin en main tout en maintenant une position de recul par rapport aux grandes puissances. La liberté de collaborer avec les États-Unis, la France, la Chine, tout en préservant son indépendance, devrait être la politique étrangère adoptée par tous les pays africains. Il est temps de prendre notre indépendance, d'être amis de tous sans être l'ennemi de personne.