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Interview

Boubacar Sangaré : «‘‘Or de vie’’ pousse à mener une véritable réflexion pour la sauvegarde de l'humain et de son environnement»

Boubacar Sangaré
Boubacar Sangaré
Entretien réalisé par Ibtissam Ouazzani
03/12/2023 à 13:16 , Mis à jour le 03/12/2023
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Après avoir remporté le 3ème prix des Ateliers de l'Atlas lors de la 19e édition du Festival International du Film de Marrakech (FIFM), le réalisateur burkinabé Boubacar Sangaré revient à ce festival pour présenter le résultat de ses efforts acharnés au cœur des sites d'orpaillage de Kalgouli, à travers son documentaire intitulé «Or de vie». Pouvoirs d'Afrique l'a rencontré.

Premier long-métrage du réalisateur Boubacar Sangaré, "Or de vie" a été sélectionné dans la catégorie «11e continent» mettant en lumière des films courageux et innovants qui remettent en question les conventions cinématographiques.

Le film est le fruit de dix années de travail, dont trois consacrées au tournage dans des endroits extrêmement difficiles d'accès, y compris à l'intérieur de tunnels de plus de 100 mètres de profondeur. Ce long-métrage dresse surtout le portrait saisissant de Rasmané, un adolescent de 16 ans qui travaille dans ces conditions pour gagner sa vie, tout en nourrissant des rêves plein la tête. Entretien avec son réalisateur, Boubacar Sangaré

Comment avez-vous pu gagner la confiance  de Rasmané, alias Bolo, et les autres jeunes travailleurs du site d'orpaillage artisanal ?

C'est peut-être le temps qu'on passe avec les personnages qui permet à la confiance de s'installer entre nous. Nous avons quand même passé trois ans à tourner là-bas.

Pourquoi avez-vous choisi de suivre ces enfants sur une si longue période et quelle évolution avez-vous observée dans leur vie quotidienne ?

Ça aurait pu être trois ans comme ça aurait pu être dix ans. Je ne l'ai pas vraiment décidé. Je voulais simplement suivre un adolescent qui grandit dans ce milieu. Et au bout de trois ans, mon équipe et moi nous sommes dits qu'on l'a vu évoluer et qu'on avait tous les éléments dont on avait besoin pour faire le film.

Pour Rasmané, il y a une véritable évolution : lorsqu'on le voit au début du film, c'est un adolescent qui joue avec tout le monde, qui rêve grand et qui travaille pour ce rêve. Petit à petit, on voit qu'il s'éteint, le rêve commence à s'effriter parce qu'il se rend compte qu'il est encore loin de le réaliser. Puis physiquement, il commence à ressentir des douleurs, de la fatigue sur le corps et donc. Au bout de trois ans, on sent véritablement qu'il a évolué physiquement, mais aussi psychologiquement. 

Comment avez-vous abordé le défi de filmer dans des conditions difficiles, notamment dans les tunnels de plus de 100 mètres de profondeur ? 

Le tournage était assez particulier parce qu'on faisait pas mal d'allers-retours sur le site. Lorsqu'on est à l'extérieur ça va, tout se passe bien. Mais une fois qu'il faut descendre dans des tunnels de plus de 100 m ça devient un peu plus compliqué.

Quand les gens travaillent dans la fosse, il n'y a pas assez d'espace. Donc à partir du moment où le chef opérateur descend, personne d'autre ne peut l'accompagner. En bas, l'objectif commence à prendre de la buée. La caméra tient des moments et ne tient pas dans d'autres, parce qu'il y a l'eau qui coule de partout et qui nous tombe dessus. Donc c'était un peu difficile. Mais en même temps, c'était les mêmes conditions de travail de ces gens. On s'est un peu conformés à leurs conditions pour pouvoir réaliser ce film.

Le film évoque la transformation de l'or en monnaie et nous savons que l'orpaillage artisanal est souvent lié à des enjeux politiques. Comment ces aspects sont-ils abordés dans le film, et quelle est votre perspective sur leur impact à long terme ?

L'exploitation traditionnelle profite directement aux populations alors que l'exploitation industrielle profite à l'État, même si c'était censé profiter aux populations, mais ce qui n'est pas toujours le cas. Puisque nous connaissons nos États où il y a beaucoup de difficultés de corruption et autres… et quand les richesses arrivent à l'État, elles ne se distribuent pas aux populations. On peut dire que c'est une position politique par rapport au capitalisme qui n'est fait que pour exploiter à la fois l'humain et son environnement.

Évidemment à long terme, c'est un coup dur, pour l'environnement, y compris les machines qui dégagent cette fumée au quotidien et à la fois pour l'environnement et pour les hommes, c'est vraiment un coup dur. C'est pour ça qu'on termine le film avec un traveling aérien où on prend de la distance par rapport au site, ce qui nous donne de la perspective en tant que spectateur, de prendre de la hauteur par rapport à tout ce qui se passe, et de mener une véritable réflexion pour la sauvegarde de l'humain et de son environnement.

Avez-vous rencontré des résistances ou des réticences de la part des personnes ou des institutions impliquées dans l'industrie aurifère pendant le processus de réalisation du film ?

Nous n'avons pas eu de résistance parce qu'on est passé par des voies « normales ». Il y avait des petits responsables désignés sur le site, donc on pouvait les attendre pour se présenter en personne et leur expliquer qu'on veut tourner ici. Progressivement, les gens se sont habitués à nous et nous ont même donné un surnom : "les orpailleurs".

Nous n'avons pas eu non plus de problèmes de la part des industriels parce qu'ils n'avaient pas encore de permis d'exploitation dans ce site. Ils étaient plutôt en prospection lors de notre tournage.

La seule frayeur qu'on a eu était en 2019, lorsqu'on nous avait signalés pour terrorisme sur le site (rires), alors que ce n'était qu'un de nos personnages principaux qui portait un micro HF (micro sans fil, ndlr.) qu'on avait pris pour un explosif, parce que le Burkina Faso fait face à un peu de terrorisme. Mais tout le monde s'est vite calmé quand ils ont compris le malentendu… On aurait pu se faire agresser sans qu'on sache véritablement pourquoi, mais mis à part ce petit incident, tout s'est bien passé.

Avez-vous des projets futurs pour aborder d'autres problématiques sociales ?

Là, j'essaie plutôt de faire un « road movie » sur ce qu'on appelle les « griots » en Afrique de l'Ouest, qui étaient des généalogistes, des historiens, des médiateurs sociaux, et qui ont existé pendant longtemps dans nos sociétés. Donc, avec de la musique et du conte, à travers toute l'Afrique de l'Ouest.