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Ainsi va l’Afrique

Analyse. Le Sahel à la croisée des chemins : Ressources, défis géopolitiques, et stratégies de désenclavement

L'enclavement du Sahel est un frein à son développement
L'enclavement du Sahel est un frein à son développement
Rachid Beddaoui*
28/01/2025 à 11:25 , Mis à jour le 28/01/2025

La région du Sahel présente un paradoxe saisissant entre ses abondantes ressources naturelles et les défis majeurs qui entravent le développement et le bien-être de ses populations. l'Initiative Royale Atlantique est une réponse audacieuse et visionnaire aux défis majeurs que devra affronter cette région.

Riches en pétrole, gaz, or, et divers minerais, le Sahel dispose également d’importants aquifères et de ressources en eau telles que le lac Tchad et le fleuve Niger. Ces ressources ouvrent de larges perspectives pour la diversification économique et l’amélioration des conditions de vie locales. Cette région bénéficie par ailleurs d'un potentiel considérable dans le domaine des énergies renouvelables, notamment grâce à un ensoleillement exceptionnel. Malgré ces atouts, cette zone enclavée (enclavement externe, interne et interrégional) demeure l'une des plus pauvres du monde ce qui complique l'accès aux marchés internationaux, l'exportation de ses ressources, et l'importation de biens essentiels.

Face aux défis multiples et interconnectés auxquels cette région est confrontée, qu'ils soient sécuritaires, économiques, sociaux ou environnementaux, il est impératif d’adopter une approche régionale coordonnée, avec des réponses adaptées et efficaces, pour espérer des solutions durables et garantir un développement pérenne.

Dans ce contexte, l'Initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour faciliter l'accès des États du Sahel à l'océan Atlantique est une réponse audacieuse et visionnaire aux défis majeurs que devra affronter cette région.  Cette Initiative inédite constitue un levier crucial pour promouvoir la stabilité ainsi qu'une croissance partagée, inclusive et résiliente dans la région, transformant ainsi les défis en opportunités. 

Triple défi 

Les pays du Sahel sont confrontés à une instabilité croissante, alimentée par des groupes terroristes, avec des conséquences dramatiques pour la sécurité et le développement économique. Selon le Global Terrorism Index 2024 publié annuellement par l'Institut pour l'Économie et la Paix (IEP), le nombre de victimes liées au terrorisme au Burkina Faso a augmenté de 68 % en 2023, enregistrant 1 907 morts, soit 25 % du total mondial. Le Burkina Faso se classe ainsi comme le pays le plus touché du continent et le deuxième au monde en termes de victimes, contre 8 564 victimes en 2022. Cette situation reflète une explosion de la violence dans la région, à tel point qu'un quart des décès dus au terrorisme dans le monde l’an dernier ont eu lieu sur son sol, selon la même source.

Le Mali enregistre également des chiffres dramatiques et alarmants malgré les efforts déployés par les autorités maliennes pour éradiquer ce fléau. Avec 1 012 morts en 2023, le Mali se classe au troisième rang des pays les plus touchés par le terrorisme, enregistrant une hausse de 68 % des victimes par rapport à l'année précédente.

Au-delà de la dimension sécuritaire, qui demeure une souffrance majeure pour la région du Sahel, l'instabilité croissante nourrit également une crise économique profonde. Les conflits armés, la pauvreté, l'exclusion et la criminalité organisées contribuent à la détérioration des conditions de vie et freinent le développement économique et social. Cette situation, particulièrement aiguë dans les pays sahéliens, engendre non seulement des pertes humaines tragiques, mais aussi des répercussions économiques considérables. Selon le rapport (2023-2024) de l'indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Burkina Faso à titre d’exemple  est classé 185e sur 193 pays, reflétant la gravité de son sous-développement. L'instabilité politique et l'insuffisance des investissements étrangers plongent davantage la région dans une spirale de sous-développement, entraînant les progrès nécessaires pour construire des infrastructures robustes et durables. 

La région du Sahel souffre également des impacts dramatiques du changement climatique, qui exacerbent la précarité et la fragilité des conditions de vie. Les phénomènes de sécheresse prolongée, l’irrégularité des pluies, les inondations fréquentes et la dégradation des terres poussent de plus en plus de jeunes à migrer à la recherche de conditions de vie meilleures, souvent au péril de leur vie. Ces migrations climatiques sont devenues un phénomène incontournable, accentuant les tensions dans des régions déjà marquées par des crises humanitaires et sécuritaires.

Un récent rapport du Groupe de la Banque mondiale sur le climat et le développement pour les pays du G5 Sahel prévoit qu'environ 13,5 millions de personnes supplémentaires pourraient sombrer dans la pauvreté d'ici 2050, en raison des effets des chocs climatiques. Cela se produirait à moins que les actions d'adaptation urgentes ne soient prises pour atténuer les impacts. La région du Sahel est particulièrement exposée à la dégradation des terres et à la désertification, avec une aggravation des sécheresses, des inondations et d'autres phénomènes liés au changement climatique. Trois des pays du G5 - le Niger, le Mali et le Tchad - figurent parmi les plus vulnérables au changement climatique dans le monde. Cependant, leur capacité à s'adapter est fortement limitée par la pauvreté et la fragilité de leurs économies et institutions.

Potentiel inexploité 

Malgré de nombreux obstacles, la région du sahel possède des éléments clés qui, s’ils étaient exploités efficacement, pourraient devenir de puissants moteurs de développement. Par exemple, le Burkina Faso, avec une production annuelle de 58 tonnes d'or, est le quatrième producteur d'or en Afrique, générant 888 millions de dollars de recettes directes pour l'État en 2022. Le Mali, troisième producteur d'or du continent, a produit 65 tonnes d'or, représentant environ 2,07 milliards de dollars, consolidant ainsi sa position comme un hub majeur du métal jaune. Le Niger produit environ 45 tonnes d'or par an, soulignant le potentiel minier de la région. Par ailleurs, le pétrole et le gaz au Tchad représentent des ressources stratégiques, bien que leur exploitation soit encore limitée. 

Le Sahel possède également d'immenses terres agricoles, avec des millions d'hectares de terres arables encore sous-exploitées, malgré des conditions climatiques souvent difficiles. L'agriculture demeure le principal secteur d'emploi dans la région et joue un rôle clé dans la croissance économique. Elle représente 20 % du PIB au Burkina Faso, 23 % au Tchad, 36 % au Mali et 40 % au Niger, selon les données de la FAO.

Ces contributions significatives de l'agriculture à l'économie illustrent son rôle vital pour la stabilité socio-économique des pays sahéliens. Cependant, la performance économique globale de ces pays est influencée par d'autres facteurs, notamment les industries extractives et les services. Ainsi, le PIB en milliards de dollars s'élève à 19,4 milliards pour le Mali, 19,74 milliards pour le Burkina Faso, 14,92 milliards pour le Niger et 11,78 milliards pour le Tchad, avec des taux de croissance économique moyenne respectifs de 4,3 % pour le Mali, 4,4 % pour le Burkina Faso, 6,9 % pour le Niger et 2,2 % pour le Tchad entre 2021 et 2024.

En outre, le Sahel est la région où la population croît le plus rapidement au monde, bénéficiant d’une population jeune, ce qui constitue un atout démographique significatif. La population en millions d'habitants est de 21,9 millions au Mali, 22,1 millions au Burkina Faso, 25,25 millions au Niger et 17,18 millions au Tchad.

Cette croissance démographique, combinée à une forte natalité, projette des perspectives impressionnantes pour l’avenir. Selon les projections des Nations Unies, le Mali, le Tchad et le Burkina Faso compteront environ 190 millions d’habitants en 2050. Avec un taux de fécondité d’environ 7 enfants par femme au Niger et de 5 enfants par femme au Burkina Faso, la population âgée de moins de 25 ans reste prédominante dans ces pays.

Ce poids démographique, marqué par une jeunesse abondante, constitue un potentiel de main-d'œuvre dynamique. Cette tranche d’âge peut non seulement stimuler la croissance économique, mais aussi jouer un rôle crucial dans la transformation économique et sociale de la région, à condition que des investissements adéquats soient réalisés dans l’éducation, la formation et l’emploi.

Cependant, malgré ses nombreux atouts, la région reste prisonnière d'un cercle vicieux de sous-développement, où les ressources disponibles ne se traduisent pas en progrès significatifs. L'enclavement géographique, l'instabilité politique, la mauvaise gestion des ressources, les infrastructures inadéquates et des obstacles structurels chroniques freinent une exploitation durable et efficace de ces richesses.

Les chiffres illustrent cette réalité alarmante. Selon les données de la Banque mondiale, le taux d'extrême pauvreté au Niger stagnait à 48,4 % en 2023, tandis qu'au Mali, il restait élevé à 45,5 % en 2022. Au Tchad, l'indice de pauvreté atteignait 44,8 % la même année, et plus de 40 % de la population du Burkina Faso vivait en dessous du seuil national de pauvreté. Ces indicateurs soulignent les défis structurels qui limitent la capacité de la région à transformer son potentiel en prospérité économique.

En outre, la faiblesse des infrastructures de base, notamment en matière d'accès à l'électricité, aggrave la situation. Par exemple, au Mali, le taux d'accès à l'électricité est de 55 % en milieu urbain, mais tombe à seulement 15 % en milieu rural. Cette disparité limite fortement les opportunités de développement économique, en particulier dans les zones rurales où résident la majorité des populations.

Face aux défis multiples du Sahel, des solutions structurelles et durables sont indispensables pour libérer la région de l’impasse économique et sociale. L’enclavement persistant des pays sahéliens, couplé à une instabilité chronique, entrave leur intégration dans l’économie mondiale et limite leurs opportunités de croissance. Pour inverser cette tendance, il est nécessaire d’adopter des politiques novatrices et coordonnées, intégrant les dimensions économiques, sociales et sécuritaires.

Le désenclavement passe par le développement d’infrastructures modernes de transport et de communication, capables de relier efficacement les zones enclavées aux centres économiques nationaux et internationaux. Ces investissements doivent être accompagnés par une gouvernance locale renforcée, basée sur la décentralisation et une participation active des populations aux processus de décision. Une gouvernance inclusive est essentielle pour répondre aux besoins spécifiques des communautés, notamment dans les zones rurales et marginalisées.

Par ailleurs, les projets de développement territorial doivent reposer sur une approche multisectorielle, intégrant les dimensions économiques, sociales et environnementales. Par exemple, il est possible de combiner des programmes d’éducation et de formation professionnelle avec des initiatives axées sur le développement agricole durable et la protection de l’environnement. Ces mesures permettraient de créer des opportunités d’emploi pour les jeunes et les femmes tout en renforçant la résilience des communautés face aux impacts du changement climatique.

En outre, la coopération régionale doit être intensifiée pour surmonter les défis transfrontaliers. Les pays du Sahel et ceux du littoral atlantique doivent collaborer à la création de corridors économiques régionaux qui facilitent le commerce, attirent les investissements et favorisent une intégration économique accrue. Ces corridors pourraient servir de levier pour le développement d’infrastructures critiques, comme les réseaux d’électricité et de télécommunications, qui sont indispensables pour stimuler l’entrepreneuriat et améliorer la qualité de vie des populations.

Le développement de la connectivité numérique constitue également un pilier essentiel. L’accès généralisé à Internet et aux technologies de l’information et de la communication dans les zones rurales et enclavées peut transformer les dynamiques économiques, en favorisant l’accès aux marchés, l’apprentissage à distance et les innovations locales.

Pour concrétiser ces ambitions, des financements durables sont nécessaires. La mobilisation de ressources nationales, le recours aux partenariats public-privé (PPP) et l’appui des institutions internationales, telles que la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale, peuvent jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre de ces projets ambitieux.

Vision Royale stratégique 

Dans le cadre des multiples défis auxquels fait face le Sahel, l’Initiative Royale visant à faciliter l’accès des pays du Sahel à l’Océan Atlantique se distingue comme une solution visionnaire et stratégique, visant à transformer durablement la région. Axée sur la facilitation de l’accès des États sahéliens à l’océan Atlantique, cette démarche s’inscrit dans une dynamique de coopération Sud-Sud et propose une réponse globale aux problématiques de désenclavement, d’intégration régionale et de développement économique.

Cette initiative représente une opportunité majeure d'une portée considérable pour le continent africain et notamment pour la région du Sahel. Grâce à sa façade atlantique, le Maroc dispose d'un potentiel stratégique exceptionnel qui permet d'impulser une dynamique de développement intégré. Elle complète les avancées significatives déjà réalisées par le Royaume dans divers secteurs, qu'il s'agisse des infrastructures, de l'énergie, de l'industrie, des phosphates, de l'agriculture ou encore de l'habitat.

Portée par une vision ambitieuse, cette initiative vise à renforcer l'intégration régionale pour assurer une croissance durable et inclusive. Elle repose sur une approche intégrée qui prévoit le développement et la modernisation des infrastructures, notamment dans les provinces du Sud du Royaume, véritable porte d'entrée vers l'Afrique subsaharienne et les pays sahéliens. À travers des projets comme les ports stratégiques de Dakhla, Tan-Tan et Sidi Ifni, mais aussi les zones industrielles spécialisées dans des secteurs clés tels que l'hydrogène vert, l'ammoniac, l'aquaculture et le tourisme, le Maroc se positionne comme un acteur de premier plan dans la promotion du commerce intra-africain.

Ces infrastructures, déjà en cours de développement, seront partagées avec les pays amis et frères du continent pour leur permettre d'accéder à de nouvelles opportunités d'exportation, de développement économique et de croissance. En parallèle, le Maroc envisage de mettre en place des corridors de connectivité terrestre, notamment par des routes dépendant de la façade atlantique aux pays de la région, mais aussi par des réseaux ferroviaires, aériens et maritimes. Ces corridors seront accompagnés de zones logistiques et industrielles conçues pour favoriser le développement commun et promouvoir une coopération gagnant-gagnant entre le Maroc et les pays du Sahel.

L'énergie occupe une place centrale dans cette initiative, car elle constitue un levier essentiel pour tout développement. Le Maroc prévoit ainsi de renforcer les solutions en énergies renouvelables, notamment grâce à des projets solaires de grande envergure. Des centrales solaires de pointe, ainsi que le projet ambitieux du gazoduc Afrique-Atlantique, illustrent parfaitement cette volonté de positionner le Maroc à l'avant-garde d'une nouvelle configuration énergétique pour le continent.

Enfin, sur le plan humain et social, cette initiative vise à améliorer l'accès des pays de la région à l'eau potable, à l’électricité et aux services sociaux.  Sur le plan humain l’initiative  inclut également des projets de formation et d'accompagnement des compétences afin de renforcer les capacités humaines dans la région.

Au-delà des enjeux économiques, cette initiative porte également une forte dimension géopolitique. En facilitant l’accès aux routes maritimes et en promouvant les interconnexions régionales, elle répond aux causes profondes de l’instabilité au Sahel. L’amélioration de la connectivité et des échanges réduit les opportunités pour les réseaux criminels et les groupes terroristes, qui exploitent l’isolement des régions enclavées. Par ailleurs, cette approche favorise une coopération transfrontalière renforcée, consolidant ainsi les bases d’une paix durable dans la région.

Enfin, l’impact de cette vision va bien au-delà des frontières du Sahel, contribuant à repositionner l’Afrique sur la scène géopolitique mondiale. En créant des synergies entre les États sahéliens et les pays atlantiques, elle prépare le continent à jouer un rôle de premier plan dans les dynamiques économiques et géopolitiques mondiales.

À terme, l’Initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI représente un modèle de transformation des défis structurels du Sahel en opportunités stratégiques. Elle démontre comment une vision audacieuse, articulée autour d’infrastructures intégrées et d’une coopération régionale renforcée, peut transformer une région enclavée en un hub de croissance et de stabilité. Cette approche pragmatique et ambitieuse place le Maroc en tant que catalyseur de l’intégration africaine et confirme sa volonté de contribuer activement au développement du continent. 

* Doctorant en Intelligence Économique et Veille Stratégique